LÉgitime DÉfense une nouvelle de Renato BERANO


LÉgitime DÉfense

par

RENATO BERANO

-           Allô, la police ?

-           Police, j’écoute.

Au standard, Sophie qui est de garde entend pleurer. Il lui semble que ce sont les pleurs d’un enfant, d’un gosse, dans les 10, 12 ans.

-           Oui, qu’est-ce qu’il  passe ?

Les pleurs redoublent. Elle se demande si quelqu’un ne lui fait pas une blague.

Elle reprend :

-           Je t’écoute, tu as un problème ?

Un reniflement, puis :

-           J’ai tué mon papa, venez-vite ma maman  va pas bien.

 

* * *

J’ai donné notre adresse et j’ai raccroché.

Ils ont fait vite. Quand ils sont arrivés, j’étais à côté de maman qui était allongée par terre, je lui tenais la main.

-           Maman, c’est Nico, maman, c’est Nico.

Mais elle ne bougeait  toujours pas.

Il y avait du sang sur son visage.

Une policière m’a pris par la main et m’a dit doucement :

-           Laisse-nous faire, c’est toi qui as téléphoné ?

J’ai hoché la tête.

Je me suis relevé, je tremblais.

Il y avait plein de policiers, et puis il y avait des docteurs qui s’occupaient de papa. Lui aussi il était allongé par terre, pas loin de maman.

Je voyais la tache de sang sur sa tempe.

Ils essayaient de le ranimer.

D’autres  docteurs se sont  penchés sur  maman.

Et d’un coup je ne sais pas ce qui s’est passé en moi, j’ai hurlé comme un fou.

Ils se sont tous retournés en sursaut, comme hypnotisés par mon cri.

De toutes mes forces j’ai crié :

-           Je l’ai tué, je l’ai tué !

Et avant que quelqu’un puisse me  retenir, je suis tombé par terre, comme en transes en criant :

-           Je l’ai tué, je veux mourir, maman ! maman ! Au secours !

Après je ne sais exactement ce qu’il s’est passé, un docteur est venu, des policiers m’ont tenu et  je crois que le docteur  m’a fait une piqûre.

 

* * *

Le lendemain, ou plus tard, je me suis réveillé à l’hôpital. Et tout m’est revenu en mémoire.

Je suis un assassin. J’ai tué mon papa. Moi Nicolas, 12 ans, je vais aller en prison parce que j’ai tué mon papa.

J’ai peur.

Puis une dame policière est venue, elle était accompagnée d’un autre homme, mais il n’était pas habillé en policier. Et une autre femme est venue me parler, elle m’a dit qu’elle était avocate, qu’elle était là pour m’aider. Comme je ne suis pas majeur et comme maman est encore à l’hôpital, elle a été nommée d’office, elle m’a dit.

Elle est jeune et jolie.

Puis j’ai compris ce qu’elle m’a dit et j’ai répété :

-           Quoi ? Maman est à l’hôpital ? Elle est pas encore sortie ? Il lui a fait beaucoup mal ?

La policière m’a rassuré et m’a demandé gentiment de lui raconter ce qui s’était passé la veille.

-           Maman ne vous a rien dit ?

La policière a hoché négativement la tête.

-           Elle est encore trop fatiguée, mais ne t’inquiète pas, elle va mieux. Tu peux nous raconter. Prends ton temps, on n’est pas pressé.

J’ai fermé les yeux, pour me replonger dans cette journée qui avait bien commencé. Papa était parti tôt, il devait rester deux jours pour son travail. C’était mercredi, je n’avais pas de devoirs à faire, je les avais bâclés la veille pour être tranquille à jouer avec mon ordinateur.

L’après-midi maman est partie, et c’est à son retour que tout à commencé.

-           Nicolas ? Tu dors ?

J’ai ouvert les yeux.

-           Non, je pense à hier.

-           Tu peux nous dire ?

Alors je leur ai dit le départ de papa pour son travail, puis :

-           Au début de l’après-midi maman s’est faite belle, elle m’a dit qu’elle allait faire des courses, qu’elle rentrerait peut-être tard, qu’il ne fallait pas m’inquiéter. J’ai surfé sur internet, j’ai fait des jeux en ligne avec mon copain de classe …

-           Pas la peine de nous dire tout ce que tu as fait tout l’après-midi, mais plus tard, quand …

-           Quand maman est arrivée elle est venue me faire un petit coucou, puis elle est ressortie dans le jardin prendre quelque chose dans la voiture, c’est à ce moment que papa est arrivé.

-           Il ne devait pas rentrer plus tard ?

-           Oui, je ne sais pas. Il devait partir deux jours pour son travail. Quand il est arrivé, il s’est mis à crier : Je sais tout, je t’ai suivie, sal… il lui disait des gros mots, je t’ai vue avec Simon, tu n’as pas honte, et maman ne disait rien, puis il a commencé à lui donner des gifles, maman s’est mise à pleurer, elle a dit : je t’aime plus, tu es un monstre, alors il lui a donné un grand coup.

-           Mais tu étais où ?

-           Je suis sorti de ma chambre quand il a commencé à crier. J’avais peur, c’était pas la première fois qu’il frappait maman. Je ne voulais pas qu’il lui fasse du mal.

-           Ils se disputaient souvent ?

-           Oui, papa était toujours en train de lui crier dessus.

-           Tu sais pourquoi ?

-           Non, il lui reprochait de trop se maquiller, de pas lui faire attention, je sais plus bien.

-           Bon. Continue.

-           Maman est tombée et papa a continué à crier et il lui a donné des coups de pied, il lui disait je vais te tuer salope, je vais te tuer.

Je me suis mis à pleurer.

L’avocate a mis sa main sur mon épaule.

-           Tu veux boire ?

J’ai dit oui. Je n’avais pas envie de raconter  la suite.

L’avocate a demandé à la policière si ce n’était pas mieux d’attendre pour continuer.  Elle a hésité, m’a regardé, et doucement :

-           Tu veux t’arrêter ou tu préfères  continuer ?

J’ai dit oui. Il fallait que ça sorte.

-           C’est quand il a dit je vais te tuer que j’ai voulu protéger maman, je ne savais pas comment faire, je me suis approché et j’ai vu la pierre par terre, alors comme papa continuait à lui donner des coups de pied, à lui crier je vais te tuer, j’ai pris la pierre et je l’ai ai donné des coups sur la tête. Il est tombé d’un coup.  Il a plus bougé, je l’ai appelé, il a pas répondu, j’ai cru qu’il était mort, alors  je vous ai appelé.

Et je me suis remis à pleurer :

-           On va me mettre en prison ? Je voulais pas le tuer, je voulais juste qu’il arrête de faire du mal à maman.

L’avocate m’a dit :

-           Non, non, tu as sans doute sauvé ta maman, le juge comprendra.

Une infirmière est venue, et  ils sont sortis.

Je les ai vus derrière la vitre ils parlaient mais je n’entendais pas ce qu’ils se disaient.

J’aurais bien aimé savoir, parce que j’ai peur qu’ils m’envoient en prison. Je ne voulais pas le tuer, je leur ai bien dit.

 

* * *

Les deux policiers regardent Nicolas à travers la vitre.

-           Pauvre gosse ! Bon, ce qu’il dit correspond à ce qui a été constaté, les coups portés à la tempe, on a relevé ses empreintes sur la pierre, il a douze ans mais il est assez costaud pour avoir frappé son père comme il dit, le sang sur la chaussure de son père, c’est bien celui de sa mère. On a retrouvé le Simon, il confirme qu’il était avec sa maîtresse. Le mari était cocu, classique. Tout colle.

-           Pourquoi ? Tu as un doute ?

-           Je sais pas. Est-ce qu’il ne voudrait pas protéger sa mère par hasard ? Après tout on n’a que sa parole.

-           Tu vas imaginer quoi ? L’amant qui tue le mari et le gosse qui s’accuse ? C’est un peu gros non ? Et de toute façon le Simon il a un alibi, on a vérifié.

L’avocate intervient.

-           Vous y allez un peu fort. Il ne ment pas, on voit bien qu’il est mort de trouille. Il a compris la gravité de son geste. Vous lisez trop de romans policiers.

 

* * *

Je les ai vus qui me regardaient à travers la vitre, ils parlaient en me jetant des coups d’œil. Ils doivent se demander si ce que je dis est vrai. Si c’est bien moi qui ai tué papa.

Oui, c’est bien moi, mais ce qu’ils ne savent pas, c’est pas un vrai accident, c’est un vrai crime.

Ça  faisait longtemps que j’avais envie de le tuer, il était méchant avec maman, il la battait souvent, c’est pour ça qu’elle s’est consolée avec Simon, un voisin. Avec moi aussi il était méchant. Je le détestais.

Alors quand il a crié je vais te tuer, qu’il lui a donné un coup et qu’elle est tombée, il s’est baissé,  en pleurant « Hélène, Hélène, réponds-moi, ma chérie, je t’aime, je veux pas te perdre. »  Comme il lui dit chaque fois qu’il la bat, mais je savais que ça allait recommencer, c’est toujours pareil avec lui, alors  j’ai pris cette pierre pointue et pan, en plein sur la tempe, de toutes mes forces. Deux coups, ça a suffi.

Ce qu’ils ne savent pas, les coups de pied c’est pas vrai, c’est pas lui. C’est moi ! Comme maman était évanouie, j’ai pris le soulier de papa, des mocassins faciles à enlever, je l’ai pris avec mon mouchoir pour éviter les empreintes,  je l’ai enfilé  et j’ai donné des coups de pied à maman, même sur la figure pour le sang et après j’ai lui ai remis la chaussure. Comme ça, ils ont la preuve qu’il était violent et qu’il risquait de la tuer et que j’ai bien fait de faire ce que j’ai fait pour sauver maman.

C’est bien de regarder les séries policières à la télé. On y apprend plein de choses.

C’était un cas de légitime défense.

 

Fin

 

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Tout est dans la chute !
LA

Le vendredi 18 Mai 2018

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