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Un Ange Passe |
Ici, tout est propre et fraîchement repeint. Des tableaux naïfs ornent les murs jaune pâle barrés d’une frise bleu délavé. Tout le monde est très gentil et de bon conseil. « Pour les étrangers, nous suggérons l’intervention chirurgicale ; les pilules entrainent des saignements pouvant s’avérer très gênants pendant les voyages en avion, et une visite de contrôle est indispensable trois semaines après le début du traitement. » Nous avons donc opté pour l’intervention chirurgicale. « À quand remontent vos dernières règles ? — Neuf semaines, mais la fécondation est plus récente parce qu’il y a neuf semaines, mon mari était en voyage. »
En effet, j’étais en France à ce moment-là. Je me souviens très bien du coup de téléphone que j’ai passé à Jéhanne pour lui dire que j’avais bien réfléchi et que je voulais un enfant avec elle. Depuis le temps qu’elle me menaçait de me quitter si elle ne devenait pas maman, je n’avais plus vraiment le choix, même si j’aurais préféré ne pas subir la dictature de l’horloge biologique, je la comprenais. À mon retour, elle m’a littéralement sauté dessus. Après plus d’un mois éloignés l’un de l’autre, nous avions du retard à rattraper ; mais à ce point-là, ça devenait de l’acharnement. Globalement, j’étais d’autant plus satisfait que le sexe sans préservatif me procurait des sensations que je n’avais pas éprouvées depuis longtemps. Je renaissais. Une semaine plus tard, Jéhanne m’annonçait qu’elle ne pensait pas être enceinte, mais que ses règles avaient du retard. « De toute façon, à mon âge, ça va sans doute prendre un an ou deux pour que ça fonctionne… Ce n’est même pas sûr que je tombe enceint un jour. — Peut-être, mais si on commence à y travailler maintenant, il vaut mieux penser que ça peut arriver tout de suite. Tu ne serais pas la première femme à vivre sa première grossesse à trente quatre ans. » Comme elle ne répondait rien, je n’insistais pas. Un écrivain qui n’a pas encore publié son premier roman est mal placé pour donner des conseils médicaux à son épouse et scientifique de renommée internationale de surcroit. Puis, il y a eu les tests de grossesse, achetés au bazar du coin et tous les deux positifs, la visite chez le docteur pendant laquelle j’ai appris quelques nouveaux mots et ensuite, l’enfer a commencé. Vomissements, crises de larmes, plaintes, suivies d’autres vomissements. Il paraît qu’un homme ne peut pas comprendre ; j’ai quelques doutes sur ce dernier point. Il ne fallut que quelques jours de plus pour que Jéhanne me dise : « Je ne veux pas le garder. » Entre terreur et soulagement, je n’ai pas fait d’histoires. Je lui ai assuré mon soutien inconditionnel et mon amour le plus sincère. Nous avons commandé nos billets d’avion, réservé l’hôtel et, puisqu’il est interdit de se faire avorter au Zimbabwe, le lendemain nous atterrissions à Johannesburg pour mettre fin à ce cauchemar.
L’échographie se fait rapidement. Les yeux sur l’écran, je vois cette tache apparaître et je me félicite de ne rien y distinguer d’humain ; ni corps, ni tête, ni membres. L’infirmière fait quelques réglages sur son appareil, puis annonce : « Sept semaines. Il n’y a aucun problème pour opérer dans la journée. » Nous sommes le sept novembre. C’est même la date d’anniversaire de l’un de mes neveux. Je suis rentré de voyage le deux octobre. Anéanti, je ne pense qu’à la santé de mon épouse et me refuse à faire une scène parmi tous ces gens très gentils, mais je pense que ma vie de couple en Afrique va très vite prendre fin. Une vie de jeune célibataire m’attend, quelque part, sur un autre continent.
Pendant l’opération, j’essaie de penser à autre chose. Dans la salle d’attente, un couple arrive avec un bébé. Tout le monde se demande ce qu’ils viennent foutre ici. La femme semble heureuse et tient son enfant dans les bras. Chaque fois qu’il se met à pleurer, elle le fait sautiller pour le calmer. Un ange passe. Tout le monde regarde ses pompes. J’ai envie de vomir. |
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