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Un Amour Etouffant |
" UN AMOUR ETOUFFANT "
Un dimanche de Je l’avais rencontrée septembre, aux Champs de courses. Elle était accompagnée d’une amie. Moi, j’étais venu avec un des miens. J’avais pour habitude d’aller passer le dimanche après-midi aux Champs de courses, histoire de passer un bon moment. Le temps était splendide en ce dimanche d’automne et les courses avaient lieu à l’hippodrome de Longchamp. Nous avions été, mon ami et moi, voir les chevaux se présenter au paddock des éleveurs. Puis nous nous étions dirigés vers les guichets afin de faire nos jeux. On s’était mis d’accord pour miser une certaine somme, sans jamais la dépasser. Ensuite une fois les courses terminées, nous faisions les comptes et partagions les gains ou les pertes.
J’étais tombé, de suite, sous le charme de cette jeune femme. Cette discrétion, ce raffinement si rare de nos jours, tout en finesse, tant de fraîcheur. Cela s’alliait si bien à sa propre âme sensible. Mon ami est moi, nous étions empressés de leur expliquer le fonctionnement des courses de pur-sang. Nous avions même pousser la chose à jouer avec elles des chevaux, leur promettant de partager les gains en cas de victoire. Cela les amusait beaucoup. En fait c’était la première fois qu’elles foulaient un Champ de course de leur vie. Elles revenaient de vacances d’Italie, du côté de Naples ou elles avaient sans aucun doute passé le plus clair de leur temps à la plage, vu l’état de leur bronzage. C’était véritablement un concours de circonstances, qui avait fait qu’elles se trouvent en ce lieu, ce jour là. Celle, qui devait devenir quelques mois plus tard ma femme, devait aller en Bourgogne retrouver ses parents. Son amie avait insisté pour qu’elle l’accompagne, ne voulant pas être une seule au beau milieu de tout ce monde de turfiste. Mais, il y avait à Longchamp, contrairement à ce que les gens peuvent penser, beaucoup de femmes plus ou moins belles et plus ou moins bien habillées. Elles, étaient très élégantes. Elles nous avouèrent plus tard qu’elles étaient des premières mains chez un grand couturier parisien. Ce qui leur permettait en dehors des heures légales de travail de se faire quelques ensembles sur des modèles maison sans avoir a en payer le prix. Mon choix avait vite été fait. Je lui ai expliqué avec beaucoup de conviction que je souhaitais vivement que nous puissions aller boire un verre quelque part, qu’ensuite nous pourrions aller dîner dans un endroit sympathique. Pour finir la soirée, nous pourrions envisager d’aller danser dans une discothèque à la mode. Cela n’a pas eu l’air de lui déplaire outre mesure. Je lui avais demandé avant de nous quitter, en nous promettant de nous revoir bientôt, si je pouvais l’appeler à son travail. La réponse a été affirmative. J’ai pris note du numéro de téléphone de la maison de couture. J’espérais seulement que le standard ne serait pas trop occupé à l’heure de la pose de midi. Dès mon travail terminé, je me précipitais sur le téléphone pour l’appeler. Malheureusement le standard était souvent occupé. Certainement, par d’autres jeunes femmes attendant comme elle, un appel de leur amoureux. J’avais beau prendre mon mal en patience, je trouvais toujours le temps long. Je l’avais revue pratiquement tous les samedi soir, sauf les week-ends ou elle retournait voir ses parents en Bourgogne. Je l’ai épousé quelques mois plus tard en janvier, certain d’un bonheur sans faille auprès de cette personne sans défaut. Ah ! Si j’avais su ce qui m’attendait… Durant les premières années, je n’ai rien soupçonné. La vie était belle, nous étions heureux. Nous partagions la joie d’avoir trois enfants qui animaient notre maison. Nous avions quitté Paris pour la proche banlieue sud, vers Fontainebleau. On parlait déjà du déménagement des Halles Centrales vers le site de Rungis. Nous avions décidé, après la naissance de notre petite dernière, de déménager et de quitter notre appartement de Paris, devenu un peu trop juste et aussi par commodité pour moi. J’étais employé chez un mandataire des Halles. Nous devions être transférés d’un jour à l’autre à Rungis. Il était devenu évident de me rapprocher du Marché d’Intérêt National de Rungis. Le transfert des Halles Centrales a eu lieu l’année 1969. L’année de naissance de notre fils aîné. Puis le cadet a suivi deux années plus tard en 1971. Nous étions déjà installés quand notre fille est née, l’année 1976. Le jour anniversaire de mon père. Curieux, non ? Ce n’est que bien des années plus tard que tout avait commencé. Personne ne savait, seulement moi. Pas même elle, qui ne se rendait compte de rien, bien évidemment. Personne ne saurait jamais, ce serait la honte, le ridicule. J’avais tant fait l’éloge de ma perle rare, sa beauté sans faille, mon bonheur parfait que je ne pouvais rien dire. Je ressassais cette pensée, assis dans mon lit à côté d’elle qui venait de s’endormir paisiblement. Cela était devenu une obsession, je n’arrivais plus à me concentrer au travail. J’avais une tête à faire peur. Tout le monde, dans la famille, pensait que j’avais de gros problèmes, à mon travail. Je n’avais plus goût à rien. Même les enfants m’énervaient. En fait, rien n’allait plus. Ma joie de vivre avait totalement disparu. Elle voyait bien que j’avais changé, mais elle mettait cela sur le compte du travail. Je ne faisais pas un métier facile. On était souvent contrarié dans ce boulot. La météo, le caprice du ventre des ménagères, pouvaient changer très vite la donne. C’était des paramètres que nous ne pouvions, hélas, ni contrôler, ni maîtriser. Chaque nuit, depuis maintenant vingt ans, c’était la même chose, même de pire en pire, et je ne pouvais toujours pas en parler. A personne ! A elle, si délicate. Je la rendrais malheureuse. Je ne voulais surtout pas la rendre malheureuse. Au médecin ? Il le lui répéterait, cela reviendrait au même. Aux copains ? Ils se ficheraient de moi, ça c’était sûr. Ils en feraient des gorges chaudes après tout ce que j’avais raconté ! Pourtant mes nuits ressemblaient à l’enfer. Près de ma femme allongée, endormie, je me sentais vraiment impuissant. Il fallait pourtant bien faire quelque chose, cela ne peut pas continuer ainsi. Je me le répétais tous les jours, nuit après nuit, depuis ces années de calvaire. Mais je ne savais vraiment pas quoi… Voilà, maintenant c’était l’heure où mon calvaire commençait. Cela débutait doucement par une respiration plus forte, plus appuyée, puis arrivait une espèce de petite musique, comme une complainte. Progressivement cela s’amplifiait ; puis venaient les soupirs, les bruits divers et enfin puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom ; les ronflements ! Depuis vingt ans, ma femme, ma jolie petite femme si délicate, si fragile, si réservée, si… Enfin ma femme, ronflait toutes les nuits de la façon la plus vulgaire ! Vous n’imaginez pas lorsque vous ne dormez plus des nuits et des nuits ce que cela peut être. Un vrai cauchemar. Si vous avez le malheur de voir en plus le visage de celle que vous aviez trouvé si séduisante quelques années auparavant, se transformer d’une telle manière. Elle en devenait méconnaissable. Les yeux clos, le nez en l’air, la bouche grande ouverte elle émettait des râles, des hoquets, des grognements, du genre grizzli, si vous voyez ce que je veux dire. Bonjour les cauchemars ! Bonjour les décibels ! Depuis tout ce temps je me répétais : ça ne peut pas durer ainsi indéfiniment. Il faut que cela cesse, ce serait mieux, pour moi, mieux pour elle aussi. Vous savez, son cœur fatiguait énormément. Mais moi aussi je fatiguais. Croyez-moi ! Et pourtant ça durait, ça durait… Je ne pouvais plus l’entendre. Je tenais mes deux mains sur mes oreilles. J’avais pratiqué toutes les méthodes possibles et inimaginables pour arrêter les ronflements sans aucun succès définitif. Les coups de sifflets, les coups de coude dans les côtes pour la faire changer de position, n’y avaient rien fait. Soudain, n’y tenant plus, je m’allonge doucement sur ma femme. Je vous vois venir, vous n’y pensez quand même pas ? Vous croyez peut-être, qu’après toutes ses années d’insomnies, j’avais, l’état d’esprit à faire l’amour, avec un grizzli ? Comme je le disais, je m’allonge doucement sur ma femme, je prends mon oreiller et le plaque sur le visage de ma bien aimée en le maintenant fermement pendant de longues minutes. Ma femme s’agite un peu sous mon corps lourd, puis se calme, les ronflements se sont tus, sa respiration s’est arrêtée. Voilà mon amour, voilà c’est fini. Tout va bien, le cauchemar est terminé. Je lui dépose tendrement un doux baiser sur son front. Je reprends mon oreiller, m’allonges sur le dos, enfin calme et détendu dans le silence de la nuit.
Michel LLAPASSET (8711 signets (espaces compris)
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