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L'envol & Le Rêve Sur La Jetée |
L'Envol J'écris, j'aligne des mots. Je ne sais plus très bien ce qu'on me reproche. Ah, oui. Il paraît que tout ce que j'écris finit par arriver... C'est grave, ça ? Oui, il paraît. Il paraît que c'est pire que le terrorisme, pire que de jeter une bombe dans la gare de Milan au moment des départs en vacances ! Hier, j'ai ramassé un morceau de plâtre dans la cour de la promenade et j'ai écrit, sur le mur de ma cellule : « La paix en Haïti. Aristide sera jugé et Cesare Battisti libéré. » J'écris comme ça vient. Je ne réfléchis pas. Vous savez que des hommes en noir m'ont proposé des sommes considérables pour écrire des trucs comme « L'ultra-libéralisme est l'opium du peuple » ou bien encore « Vivre, c'est gagner ! » On m'a proposé de réécrire l'Histoire. J'ai refusé. J'écris ma vie dans ma tête. Ma cellule sent mauvais, personne ne me demande au parloir. J'en ai marre d'attendre. J'ai décidé d'écrire avec mon sang. Une plaie minuscule, presque rien. Ça coule, c'est rouge. Avec mon ongle, j'écris : « Je suis un oiseau bleu dans le ciel de la Guadeloupe. » 02/03/04. [ J'ai écrit ce texte la nuit. Le lendemain, Cesare Battisti était libéré. Ce texte a été publié par Claude Mesplède dans le n°13 de sa Gazette. ] Le Rêve sur la jetée Quand j'ai vu le grand panneau annonçant le Domaine de May, j'ai tout de même ralenti. Je roulais à 110 et devais avoir un taux de gammaglobulines autour de 280... Je tenais bien la route et j'avais bouclé ma ceinture. J'ai encore roulé jusqu'au 8 à Huit où j'ai pris une bouteille de rhum Damoiseau. Tu sais, cette merde guadeloupéenne qui rend soit zombie, soit sobre à tout jamais, cette boisson que j'ai juré de ne plus boire et que je bois tout de même quand la tristesse me prend... J'ai payé à la caisse. Toujours la même caissière, très petite, indienne, avec cette cicatrice entre les seins. Un jour, je lui avais demandé et elle m'avait répondu : « J'ai été opérée de la thyroïde... » J'avais bien ri. Oui, le nuage de Tchernobyl, m'étais-je dit, celui qui est passé sur le sud de la France avant de s'arrêter aux frontières. Avait-il aussi traversé l'océan ? Le nuage, la mal bouffe et toutes ces saloperies qui nous bouffent... J'ai laissé tomber la bouteille de rhum par terre avec un : « Oh, excusez-moi... » Puis je suis sorti du magasin. Ma voiture m'attendait. J'ai roulé vers Pointe-à-Pitre. Après ? Je ne sais plus. J’étais assis sur la jetée du Moule, face à l’océan. J'ai rêvé d'un aéroport où une femme m'attendait. Je l'aimais et elle aussi m'aimait. J'avais envie de la serrer tout contre moi, mais c'était impossible. Une voix officielle a dit : « Veuillez passer dans la file de gauche, Monsieur P. Vous n'êtes plus vivant ! » J'ai regardé la montre que mon fils Lucien m'avait offerte juste avant mon départ. Les aiguilles avaient disparu, le cadran était blanc. Alors, je crois bien avoir compris... [ Le Rêve sur la jetée a été traduit par Íñigo Fernández et publié dans le n°161 de la revue argentine en ligne Axxón (Avril 06) sous le titre "El Sueño en el malecón". ] |
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