La Question Du Protocole une nouvelle de Alain Emery


La Question Du Protocole

par

ALAIN EMERY


Je leur ai dit que le type était grand et maigre, d’une minceur maladive, même, pour ainsi dire transparent et que son corps et ses épaules s’agençaient selon un angle grotesque. J’ai ajouté qu’il donnait l’impression d’un désordre fiévreux et surtout qu’il était couvert de sang.

Ils m’ont écouté avec une attention touchante. Ils ont pris des notes, passé quelques coups de fils et j’ai bien senti – tandis que les ambulanciers emportaient, dissimulé sous un drap blanc, le corps sans vie de la huitième victime – que j’étais devenu quelqu’un de très important.
D’essentiel pour l’enquête, ont-ils dit, avec une incontestable nervosité. Dans leur façon de se masser la nuque, d’allumer une cigarette avec le mégot de la précédente, dans la constance avec laquelle leur front se barre d’une ride fugace, il est facile de lire, en plus de la lassitude, que s’amorce un début d’abandon, de renoncement. Ils ne peuvent plus ignorer que l’homme qu’ils traquent conserve, depuis le début, plusieurs longueurs d’avance, qu’il s’amuse de leur désarroi, les nargue, se joue de leurs pièges grossiers. Je crois qu’ils pressentent – je le lis dans leurs yeux fuyants – qu’ils ne mettront pas de si tôt la main dessus.

Ma description, semble t-il, les a déçu. Ils se l’imaginaient vraisemblablement plus svelte, d’une robustesse inimaginable et d’une intelligence hors du commun. Une sorte d’athlète à l’instinct machiavélique devant lequel l’échec aurait quelque chose de réconfortant.
C’est l’éternelle question du protocole. On voudrait toujours que les choses et les gens ressemblent à l’idée qu’on s’en fait, que le cérémonial de l’existence se déroule sans accroc, que rien – absolument rien – ne vienne déroger aux règles établies. Chacun rêve d’un monde uniforme et prévisible dans lequel les assassins porteraient sur leur visage les stigmates de leur brutalité et les flics la marque indélébile de leur vertu. Le blanc d’un côté, le noir de l’autre.

La vérité se joue du protocole. Truque, élude, déforme. Dilue les couleurs, atténue les contours. Ce jour qui se lève, par exemple, cette aurore dans cette rue déserte, qui révèle de délicieux reflets mordorés, nuancés de rose, cette aube qu’on se plairait à confondre avec le préambule heureux d’une journée délicieuse, et bien cette aube là n’est-elle pas annonciatrice de mort et de cruauté ?
Moi-même, de quoi ai-je l’air ? Avec mes cheveux gras, clairsemés, plaqués sur mon front dégarni, mon polo boutonné ras du cou, ma peau écailleuse et mes petits yeux porcins, puis-je inspirer autre chose qu’une pitié malsaine ? Si l’on se fie aux apparences, je suis un pauvre type, un peu coincé, que sa condition de témoin capital porte au comble du bonheur.

Je ne me fais guère d’illusions, je n’intéresserai pas les flics très longtemps. Qui pourrait leur en vouloir ? Qui pourrait leur reprocher de s’en tenir au protocole ? C’est tellement plus simple. Et puis, tout à fait entre nous, qui pourrait deviner que je cache, dans le coffre de mon auto, celle qui s’inscrira très bientôt comme la neuvième victime ?
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