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Harry Dysan Et L’affaire Barrie |
Le bar de Jack Rebel, c’est bien plus une taverne qu’un club à la mode et les personnes qui s’y rendent, rarement des femmes, ce sont pour la plupart des égarés et des moins que rien. Tous ces types, ils viennent chez Jack et lui racontent invariablement toutes sortes d’histoires sordides, tirées de leur vie ou de celle de leur voisin. Bref, des tranches de vie comme celles que tous et chacun cherchent à oublier. Jack, qui n’écoute toujours qu’à moitié, offre à boire et souvent, boit avec eux et à la fin de la nuit, quant vient le temps de mettre tout ce beau monde dehors et de fermer les volets d’aciers, il titube tranquillement et dit des trucs comme : « Okay, les gars ! Cette nuit c’est la nuit de toutes les nuits. Alors allez vous y perdre et revenez me voir demain pour me dire ce que vous y avez vu ! » Ce soir-là, un gros gars entre dans l’établissement de Jack et va directement s’asseoir au bar. Jack s’en approche et le type lui commande un verre de vermouth. Jack le lui sert sans se presser. - Comment tu t’appelles ? - Je m’appelle Jack. - C’est toi, Jack ? - Oui, c’est moi. - Celui du Jack Reble’s Club ? - C’est bien ça. - Eh bien je suis enchanté. Moi, je m’appelle Harry. - Salut, Harry. - Tu sais quoi, Jack ? - À quel propos ? - À propos de moi, Harry Dysan. - Non, je ne crois pas. - Alors je vais te raconter, Jack. Je vais te raconter. Jack s’appuie de son côté du bar devant le gars, attendant que celui-ci ait pris une première gorgée de son verre de vermouth. Le gars s’exécute et s’essuie ensuite la bouche du revers de la main. Ensuite, il se met à regarder Jack et finalement, prend la parole. - Cette nuit, Jack, tu vas me servir tout le vermouth que je serai capable de boire. Tu t’inquiètes pas pour ce qui est de payer, j’ai largement de quoi faire. Harry ne fait rien de spécial pour confirmer ses prétentions. Il se contente plutôt de vider son verre, qu’il dépose sur le comptoir. Alors Jack s’étire le bras pour saisir la bouteille de vermouth. Après l’avoir fait, il l’amène jusqu’à lui, en retire le bouchon et en verse une bonne quantité dans le verre de son client. Ensuite, il rebouche la bouteille et la dépose juste à côté. - Demain matin, je serai mort, Jack. Tu comprends ce que je dis ? Je serai raide et là, je n’aurai plus à me soucier de savoir si le laitier a bien laissé le lait ET la crème comme je le lui ai demandé la dernière fois. Je serai mort et bien mort. Jack ne sourcille pas. Il continue de fixer le type, qui entame son second verre de vermouth. - Toi Jack, tu tiens ce boui-boui, alors que moi, ça fait des années que je liquide des types. J’en ai liquidé de toutes les sortes : des gros, des petits, des laids, de ceux qui ne payaient pas leurs comptes ou qui faisaient joujou avec la femme d’un autre. Je les liquidais avec mon revolver, puis on me payait et là, c’est moi qu’on va repasser. Tu comprends ce que je dis, Jack ? il y a un type qui va se ramener et qui va crever ma tronche d’imbécile ! Jack fait un signe de la tête pour signifier qu’il comprend ce que le gars lui explique. Harry en profite pour vider de nouveau son verre et toujours sans se presser, Jack en ramène le niveau à ce qu’il était au départ. - Tu sais pourquoi on va me descendre ? - Non, je ne sais pas. - C’est à cause de ce que j’appelle maintenant : « l’affaire Barrie ». Le nom ne dit rien à Jack, qui attend que le gars continue son histoire. Au bout d’un moment, Harry Dysan se met à l’aise sur son tabouret et se met à raconter l’affaire Barrie. - Hier, un gros bonhomme se pointe chez moi. Wilson, qu’il s’appelle. Ce gars-là, c’est un caïd parmi les caïds et bon sang que j’étais fier qu’il se présente chez moi, qui ne suis finalement rien d’autre qu’un vaurien. Le gros Wilson arrive donc avec trois de ses gars. Tandis que ceux-ci s’éparpillent dans mon appartement, réquisitionnant au passage ma bouteille de Whisky, Wilson prends place dans mon fauteuil et se met à me parler de sa petite femme qui est toute jeune, toute affectueuse et tout à fait ravissante, mais qui est partie avec un autre gars appelé Barrie. Bon sang, je n’en reviens pas de voir ce type chialer et morver comme il le fait. Alors, Wilson finit par sortir une enveloppe remplie de billets de banque et me parle d’une seconde enveloppe du même genre qu’il compte me remettre dès que le gars sera froid. Je fais un sourire, car je comprends que Wilson peut pas se permettre d’envoyer un de ses propres gars faire la peau de Barrie et l’affaire est conclue. Mais à ce moment-là, il lève sa grosse masse du fauteuil pour se planter devant moi et tout en me frappant le crâne de son index, il m’avertir que sa petite femme doit rester en dehors de tout ça et qu’elle ne doit surtout pas être menacée ou mise en danger par mes actions. Alors je le regarde, Jack, pareil comme je te regarde et je lâche un nouveau sourire et dans nos deux têtes, tout paraît tellement clair que Wilson sourit aussi. Puis il me montre la photo d’un type vêtu d’un complet tout à fait correct et à l’allure très soigné. Je comprends qu’il s’agit de Barrie. Wilson et ses gars finissent donc par partir et plus tard dans la soirée, je songe à toute cette affaire et téléphone finalement à mon beau-frère Jersey afin qu’il m’accompagne, vu que je tiens pas à rater mon coup. Je m’entends avec lui, qui a la face pleine de tâches brunes et ce matin, tous les deux, nous nous rendons chez Barrie. Ce gars-là, je te jure Jack, il habite un bel appartement avec le portier devant la bâtisse qui dit bonjour lorsqu’on passe près de lui. Bref, une fois dans la place, nous empruntons l’ascenseur et vite fait, on se rend cogner à la porte que Barrie nous ouvre. Comme il s’exécute, Jersey le bouscule un peu de façon à ce que nous puissions entrer. Dès que la porte se refermer derrière nous, je sors mon revolver, vise la tête et bang ! Bang! Bang ! Barrie est étalé sur le sol et son sang pisse partout, jusque sur le tapis persan situé un peu à l’écart de l’entrée. Mais merde, au moment où Barrie s’écrase, je remarque la fille devant moi, dans le chambranle de la porte qui gueule et qui pleure comme c’est pas croyable. La conne; elle tient un pistolet dans la main, lève le bras et bon sang, elle fait feu sur Jersey qui s’écroule sans demander son reste. Moi je vois tout ça et la seule idée qui me vient à l’esprit, c’est de l’abattre et je te jure que ça ne traîne pas. Je touche d’abord le thorax puis, comme je vois bien qu’elle ne lâche pas son pistolet et surtout, qu’elle se tient toujours debout - mais moi ce que j’ignorais à ce moment-là c’est qu’elle se trouvait adossée au mur et que c’était pour ça, c’était juste pour cette foutue raison-là qu’elle ne tombait pas - je tire encore et cette fois-là, je fais éclater son crâne et pour elle, tout est fini. Harry cesse de parler, sort de son veston un paquet de cigarettes, en tire une du paquet, puis après avoir de nouveau vidé son verre, cale la cigarette entre ses lèvres de façon négligente. Jack n’a pas lâché Dysan des yeux pendant tout le temps qu’il a parlé et ce dernier n’a pas cessé de reprendre encore et toujours son verre et dès qu’il était vide, Jack empoignait la bouteille de vermouth puis remplissait inlassablement le verre à ras bord. Harry Dysan vide de nouveau son verre de tout le vermouth qu’il contient, puis porte son pouce et son index à ses yeux de façon à réprimer quelques larmes. Dès qu’il revient à lui, il redépose le verre et regarde Jack sans rien dire. Ce dernier attend la suite tout en manipulant la bouteille d’alcool. - Celui-là, Jack, ça va être mon dernier. - C’est comme tu veux, Harry. - Alors, tu comprends ? Tu comprends ce que je te dis, Jack ? C’est ça, l’affaire Barri ! C’est tout ça et en même temps, c’est seulement ça. Mais je trouve que c’est malheureux, des affaires comme celles-là parce que tu vois, la fille au fond, ça ne change rien à l’histoire. Jack fait de la tête un bref signe qui se veut positif, parce qu’effectivement, il comprend que la mort de cette fille, ça n’a que pue d’importance dans le destin de Dysan. - Tu me dis à combien ça monte, Jack ? - Ça fait 73 $ dollars, Harry. Dysan fouille dans ses poches et en sort une enveloppe froissée, de laquelle il tire deux billets de cinquante dollars. - Tu gardes la monnaie, Jack. J’en aurai plus besoin. Puis, disant cela, Harry descend du tabouret, empoigne son verre d’une manière rendue familière et le vide d’un trait, le redépose sur le comptoir et après s’être passé la main dans les cheveux, traverse la salle jusqu’à la porte qu’il franchit tranquillement, d’une allure un peu voûtée en serrant toujours l’enveloppe dans sa main. Richard Cloutier 170, des Saphirs Ile Perrot (Québec) J7V 9J7 underdogcity@yahoo.ca |
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