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La Porte De L'enfer. |
La route mouillée s'étendait à perte de vue, traversant en ligne droite une plaine inculte et totalement inhabitée sur des centaines de kilomètres carrés. Ayant connu une extraordinaire expansion au temps de la prospérité économique, cette zone polluée se retrouvait oubliée du reste du monde. Seules restaient encore de grandes carcasses d'usines désaffectées, envahies et rongées par une mousse verdâtre. Autour de ces bâtiments, le sol stérile était jonché de matériaux rouillés et de détritus dégageant une infecte odeur chimique. C'était la saison des pluies... Entre deux averses, l'air était chargé d'une brume glacée et pénétrante, une brume presque palpable. Un homme de taille moyenne et de couleur indéfinis sable avançait d'un pas lourd dans la pénombre. Il portait des vêtements informes et délavés qui lui collaient à la peau et tenait à la main un jerrican vide... Ne sachant ni où ni quand il avait vu le jour, il ne connaissait ni son âge, ni son nom, ni sa nationalité. A vrai dire, il n'en avait rien à faire et préférait ne pas le savoir. De vagues connaissances lui avaient donné de vagues surnoms ridicules qu'il n'avait pas retenus. Il préféra se baptiser lui-même " Djany ". Il estimait que ce prénom lui allait bien et exigeait dorénavant qu'on ne l'appelle pas autrement. Il était venu dans cette région dans l'espoir de trouver un emploi quelconque mais ne soupçonnait pas à quel point il avait fait fausse route! Car, s'il existait un endroit où l'on avait aucune chance de se faire embaucher, c'était précisément là où il se trouvait ! Pour couronner le tout, sa vieille guimbarde était tombée en panne de carburant au beau milieu de la route et il devait parcourir une cinquantaine de kilomètres à pied, s'il voulait sortir de cette contrée. Au delà, se trouvait une ville qui n'acceptait que les individus possédant une carte de travail. Il n'était donc pas question pour Djany, d'y séjourner! Il ne comptait s'y rendre que pour remplir son jerrican et revenir aussitôt à sa voiture. Combien de temps lui faudrait-il pour couvrir une telle distance uniquement à l'aide de ses jambes? Cette seule pensée lui donnait froid dans le dos! La nuit était tombée depuis peu... Peut-être demain matin, arriverait-il en vue des premières lueurs de la ville... Pour Djany, la peur du noir avait été, de puis son enfance, une véritable obsession. Il ne savait pas si ce qui perlait sur son visage était l'humidité de l'air ou sa propre sueur. Tout en avançant, il sentait son corps entier sous l'emprise de tremblements convulsifs. Sa respiration se faisait haletante et son coeur lui martelait la poitrine. Le silence infini de la plaine avait quelque chose d' inquiétant. L'oeil aux aguets, il poursuivait sa route avec, en prime, la terrible impression d'être suivi... continuellement suivi! Il sentait derrière lui, à une distance qu'il ne parvenait à évaluer, une étrange présence. Il se retourna d'un geste lent et indécis, avec une peur bleue de ce qu'il risquait de découvrir. Il s'arrêta, regarda attentivement autour de lui... Il n'y avait rien... rien d'autre que ce brouillard intense qui lui masquait la vue. Il se remit en route. Cette présence inconnue pouvait se tenir vers la droite, vers la gauche, ou beaucoup plus loin derrière lui. Il n'en avait pas la moindre idée! Il se hâta... accéléra le pas... s'essouffla puis ralentit... accéléra de nouveau... titubant sur ses jambes fatiguées... tenta de courir mais n'y parvint pas... reprit alors une démarche régulière, s'efforçant de garder son calme et son sang froid, essayant d'oublier cette présence invisible qui ne cessait de le suivre. " Bon sang! J'aurais mieux fait de rester dans la voiture et d'attendre l'aube! Quelle foutue déveine! grogna Djany. Il fit encore quelques centaines de pas, la rage aidant à surmonter la peur, quand il aperçut à sa gauche, la gigantesque silhouette d'une usine à demi effondrée. Il s'arrêta un moment pour réfléchir... Il lui sembla qu'au même instant, la présence s'était également arrêtée pour l'observer. "Je ferais mieux d'aller dormir là-dedans, pensa-t-il, peut-être aurai-je la chance de trouver un peu de carburant..." S'armant de courage, il décida de faire le tour du bâtiment pour chercher une ouverture accessible. Trébuchant sur les gravats qui gisaient en travers du chemin, enjambant des monceaux d'ordures, des barres de fer tordues, des monticules de poussière dégageant une odeur nauséabonde, il se trouva enfin devant une petite porte en fer qui pouvait ressembler à une sortie de secours. Il tenta d'ouvrir ce lourd battant de métal rouillé en appuyant de toute la force de ses deux bras, administra de grands coups d' épaules à se fracasser les os mais cela n'eut d'autre effet que de le rendre fou furieux! Derrière lui, cette présence étrange le regardait... Djany la sentait terriblement proche, il savait qu'elle était là, à épier le moindre de ses gestes! Il imaginait un visage fendu d'un sourire en coin démoniaque... Il s'acharna alors sur la porte. Il s'empara d'une barre de fer et cogna, cogna, cogna encore et encore... Une horrible grimace lui déformait la face, ses yeux lui sortaient de la tête, il bavait comme un chien enragé... Rien à faire! Il s'approcha de la porte et tandis qu'il s'apprêtait à cracher dessus en jetant à terre sa barre de fer, il se trouva nez à nez avec la dernière chose à laquelle il eût songé... La clef! Elle était là, si près de son nez qu' elle le faisait loucher ! Il détourna la tête et regarda de côté en soufflant d'un air dégoûté, puis d'un geste las, il la fit tourner deux fois dans la serrure. La petite porte s'ouvrit sans difficulté. Sans oublier le jerrican vide momentanément laissé sur le sol, il pénétra dans l'usine. Cette vaste salle possédait la double particularité d'être aussi obscure qu'un four et plus glaciale qu'un réfrigérateur! Djany tenta à plusieurs reprises d'allumer son briquet mais l'humidité ambiante empêchait sans doute son fonctionnement. Il n'insista pas et afin de ne pas se faire enfermer, il ressortit, prit la clef et referma la porte de l'intérieur. Bien que se retrouvant seul dans les ténèbres, il ressentit curieusement une impression de sécurité. La présence ne le hantait plus. Il savait qu'elle se tenait derrière la porte et que demain matin, au grand jour, il la tuerait! Enfin! Cette idée lui trottait dans la tête et quelque chose lui disait que c'était le seul moyen de chasser cette image de lui. Puis il se demanda s'il était possible de tuer une... image... une simple perception... une chose qu'il n'avait jamais vue! Il se demanda si cette " présence " n'était pas seulement le reflet de son âme tourmentée, s'il n'était pas devenu une sorte de paranoïaque! Après être resté un long moment à méditer devant cette maudite porte, il se passa la main dans les cheveux comme il avait coutume de le faire puis, secouant sa tête, il s'adossa contre un mur pour se reposer... Grâce à un grand effort de volonté, il parvint durant de courts instants, à ne plus penser à cette abomination invisible et tenta de trouver le sommeil. Avec ses vêtements trempés qui se plaquaient contre son corps, il était frigorifié. D'autre part, la salle où il se trouvait devait comporter des brèches car un courant d'air ressemblant au souffle de la brise se faisait entendre et lui glaçait le sang. A trois heures du matin, il n'avait toujours pas réussi à s'endormir. Malgré le froid intense qui régnait, sa peau était moite! Il ruisselait de sueur! Pensant avoir attrapé une mauvaise grippe qui lui communiquait de la fièvre, il se releva mais, tremblant de tout son être, ses jambes ne le portaient plus. Cherchant le mur, il prit appui dessus et se laissa glisser jusqu'à terre. Là, il s'effondra et resta allongé sur le sol, respirant fortement... C'est alors qu'en regardant droit devant lui, dans l'écran noir de la nuit, il crut apercevoir la présence de la présence! Il resta littéralement pétrifié devant cette apparition qui se présentait sous la forme de deux lueurs rouges perçant les ténèbres et bougeant indépendamment l'une de l'autre. Puis il entendit un murmure à peine perceptible, suivi d'un rire grotesque amplifié par l'écho. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête! Il se recroquevilla et paralysé par la peur, il attendit... " Les yeux du démon! Je viens de voir les yeux du démon! " pensa-t-il avec angoisse. Une voix rauque et monocorde venant du fond du hangar à la hauteur des lueurs rouges, s'approchait de lui, lentement... Djany avait envie de sortir de là et de regagner sa voiture en courant de toute la vitesse de ses jambes, mais il n'y parvenait pas. Il était vidé. Il n'avait plus un soupçon d'énergie. Ses muscles ne répondaient plus... Les yeux approchaient encore, de plus en plus brillants! La voix cessa. Une voix différente prit le relai, encore plus laide que la première. Djany rampait sur le sol, la main tendue vers la porte d'acier. Tout à coup, il sentit quelque chose lui frôler le visage. Il faillit pousser un cri mais se retint. Sa main se porta vers la chose et la toucha, puis la rejeta d'un geste sec. Il soupira... Un mille pattes! L'un de ces énormes mille pattes qui administrent parfois de vilaines morsures lorsqu'ils se sentent coincés. Oubliant ce détestable incident, il chercha encore à gagner du terrain vers la sortie, en se traînant sur le béton rugueux. Il voulait fuir cet endroit maudit, respirer l'air irrespirable du dehors, quitte à se mesurer au diable, s'il le fallait! Mais rester dans un lieu clos qu'il ne connaissait guère, où il ne discernait pas même sa propre main placée devant ses yeux, il ne le pouvait plus... Enfin, sa main toucha la porte. Poussant un soupir de satisfaction, il se releva en s'accrochant à la poignée. Maintenant, il s'agissait d'ouvrir sans provoquer le moindre bruit, ce qui était ardu! Fouillant dans ses poches, il entreprit de chercher la clef. Mais il ne se souvenait pas de l'endroit exact où il l'avait cachée! En se retournant, il aperçut les deux points brillants qui venaient dans sa direction. Mais non! Il n'y en avait plus qu'un! " Le monstre aurait-il perdu un oeil en route " pensa Djany. Il farfouilla dans toutes les poches qu'il possédait mais il ne trouva rien que de vieux bouts de papier et les clés de sa voiture en panne. " Purée de pois! La clef a disparu! Il faut que je la retrouve! " grogna-t-il d'une voix étouffée. Revenant sur ses pas, il s'agenouilla et chercha à l'emplacement qu'il avait choisi pour dormir. Il retrouva d'abord son vieux briquet qu'il essaya de faire marcher. S'il ne s'allumait pas, il obtint en revanche quelques étincelles qui apportaient un semblant de luminosité. Il distingua une faille dans le plancher de béton et aperçut un objet brillant, à trente centimètres de profondeur. Sa main était trop épaisse pour se glisser à l'intérieur. Pour récupérer la clef, il aurait fallu casser une partie du plancher... C'était impossible! IL n'avait aucun outil sous la main! Et le bruit eut tôt fait de trahir sa présence. La clef avait dû tomber de sa poche tandis qu'il s'était assoupi... Peut-être avait-il dormi sans s'en rendre compte. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à trouver une autre sortie sans trop tarder car l'oeil rouge venait à sa rencontre. Bientôt, il serait obligé d'affronter la réalité, et cela, il ne pouvait le supporter! Réunissant toutes ses forces, il se remit sur pieds et sans se retourner, longea l'un des murs principaux de l'usine en s'y appuyant de ses mains, espérant découvrir une brèche quelconque ou même une porte ouverte! A quelques pas derrière lui, retentit à nouveau un rire dément qui résonna dans tout le volume du bâtiment. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête et un frémissement le parcourut du haut en bas de son corps. Il osa jeter un coup d'oeil rapide par dessus son épaule mais ne vit que le noir, plus intense que jamais! La lueur rouge avait disparu... Où était-elle passée? Djany crut devenir fou! Il essaya de courir mais il tombait et se relevait presque à chacun de ses pas. Le rire éclatait toujours. Il n'en finissait pas de se répercuter sur les multiples parois de l'usine; l'écho chevauchait le rire qui se mélangeait encore avec l'écho. C'était comme s'il y avait plusieurs rires et plusieurs démons disséminés aux quatre coins du hangar! C'était insoutenable! Djany sentit la panique le gagner. Il ne parvenait plus à contrôler sa raison. Il se surprit à rire lui aussi, doucement puis de plus en plus fort, comme un névrosé... L'autre rire cessa et il se mit alors à avoir peur de lui-même car il n'est rien de plus sinistre qu'un rire dont l'origine est incompréhensible. C'était une sorte de rire nerveux, désespéré, né d'une insupportable angoisse. Puis il se tut, retint sa respiration et ce fut le silence complet! Un silence morbide qui lui parut interminable... Il n'entendait plus que les battements sourds de son coeur, des battements excessivement rapides et réguliers. Il attendit, tapi dans l'ombre épaisse et froide, un apaisement qui lui eut permis de continuer. Il avait les nerfs brisés. il se sentait atrocement seul et perdu dans un monde d'aberrations. IL avait l'affreuse sensation d'être dévoré vivant par ce silence implacable, d'être emprisonné par les tentacules de la nuit, d'être sous l'emprise d'une terreur inconcevable créée par son imagination... Il ne voulait pas croire à la réalité de ce qu'il avait vu, il refusait même d'y songer et pourtant, il recommença à percevoir la présence. Elle lui semblait si proche qu'il eut un moment l'impression d'être possédé, comme si elle était sur le point de lui manger son âme! Il la sentait partout, tout autour de lui, dans le vide, dans les murs, dans le plancher et même à l'extérieur! Jamais il ne l'avait senti si puissante, si vaste, si présente. Elle le regardait, l'envoûtait, se jouait de lui. Il faillit céder à l'emprise, à l'hypnose de cette invisible entité, se laisser emporter, s'évanouir et tomber dans un comas profond, quand il vit soudain, en allumant son briquet, une étrange silhouette se détacher sur le mur de gauche! Il sursauta et poussa un cri étranglé. Cette silhouette informe et avachie, ce dos courbé, ce visage blafard et grimaçant... tout cela n'était autre que sa propre image reflétée par un miroir terne et rouillé! Dès qu'il s'en aperçut, il se ressaisit et continua sa course éperdue dans les dédales de l'usine, en prenant toujours appui sur un mur. Il eut alors l'idée de regarder sa montre dont les chiffres phosphorescents indiquaient un peu plus de cinq heures. Dans une heure à peine, si le ciel était dégagé, il ferait jour! Djany éprouva, à ce moment, un immense soulagement... S'il parvenait à sortir de cet enfer, il allait bientôt voir le soleil! Il était persuadé à présent, qu'il allait s'en tirer. Toujours poursuivi par cette présence qui ne se montrait jamais, il chercha avec espoir une sortie. Le fonctionnement de son briquet l'aidait beaucoup dans sa progression mais il ne pouvait, à cause de la brûlure de la flamme, le garder allumé plus d'une dizaine de secondes. Après une heures de service intensif, le briquet présenta des signes de faiblesse et peu à peu, le gaz ayant totalement disparu, il s'éteignit... Il était six heures du matin. Le jour se levait, baignant l'immensité de la plaine dans une lumière diffuse. Il faisait jour mais Djany ne le savait pas encore, car là où il se trouvait, régnait une complète obscurité! La présence observait inlassablement la scène, sans faire la moindre apparition. Elle suivait les actions de cet homme au bord de la dépression, du haut de son regard étrangement mobile. Djany comprit avec horreur que la salle où il s'était enfermé ne présentait aucune ouverture, en dehors de celle par laquelle il était entré. Il remarqua seulement des lézardes à travers lesquelles perçaient de faibles rayons lumineux. Mais, situées à plusieurs hauteurs d'homme, il ne pouvait espérer les atteindre et il faudrait creuser de nombreuses journées pour les agrandir de façon à passer de l'autre côté... Djany était épuisé et totalement découragé. La vue du jour qui se levait, alors qu'il restait encore emprisonné dans les ténèbres, le rendait malade. " C'est impossible! Je ne sortirai jamais de ce trou à rats! Jamais! se répétait-il. Il s'était enfermé lui-même dans ce qu'il détestait le plus au monde: le noir et la solitude! Il avait choisi la plus terrible des destinées et s'apprêtait maintenant à mourir dans cet espace clos, comparable à un gigantesque cercueil. Un cercueil habité par le diable! Il pensa un instant, avoir réellement frappé à la porte de l'en fer, l'avoir ouverte et s'être enfermé, comme si tous ses gestes avaient été dictés. Alors il se laissa tomber et frappa le sol de ses mains, en pleurant et en pleurant encore, tel un enfant! Il resta longtemps ainsi et la présence ne cessait de l'épier, de l'espionner... Tout son esprit restait con centré sur Djany, comme s'il s'agissait d'un simple sujet de curiosité. Plusieurs heures plus tard, Djany était encore allongé à même le sol... Il parlait en dormant, il délirait... Vers neuf heures du matin, il ouvrit un oeil. Un fait nouveau l'avait sorti de sa torpeur. Au fond de la grande salle, il aperçut une faible lueur blanchâtre! Il se leva aussitôt et marcha dans cette direction. Peu à peu, l'obscurité était moins intense autour de lui... La porte! La porte était ouverte! Il courut, courut à en perdre haleine, trébucha, fit un vol plané, se remit sur ses jambes et continua à courir, à bondir en direction de la porte avant qu'elle ne se referme! Juste avant qu'il n'y parvienne, le battant de métal faillit se rabattre mais il le repoussa juste à temps! Ce n'était que le vent... Entraîné par son élan, il se reçut à plat ventre sur un monticule de poussière jaune et s'y enfonça presque entièrement. Au dehors, tombait une pluie très fine qui lui remit les idées en place. Il s'en débarbouilla le visage en se redressant sur ses jambes fatiguées quand, derrière lui, retentit le ricanement rauque qu'il avait entendu dans l'entrepôt, puis un autre rire encore plus bizarre! Lorsqu'il se retourna, son système nerveux éprouvé le conduisit à pousser un cri d'horreur mais il se ressaisit aussitôt car devant lui, se tenaient, adossés contre le mur extérieur, deux individus à face rouge, vêtus de loques, tenant à la main une cigarette mal roulée... Des clochards! - Que viens-tu faire ici? fit l'un d'entre eux d'une voix cassée. - Moi? Je... je ne sais pas... Les deux hommes le dévisagèrent d'un oeil sournois mais Djany ne regardait que le bout allumé de leurs cigarettes. Il repensa à ce qu'il avait vu dans l'obscurité: deux lueurs rouges bougeant indépendamment l'une de l'autre! " Comment ai-je pu être assez stupide pour confondre des bouts de cigarettes avec des yeux diaboliques? La peur et l'angoisse peut vraiment nous rendre fous! songea Djany. - C'était donc vous, la présence? questionna-t-il. - La quoi? s'étonna l'étrange personnage. - La " présence ", insista-t-il, était-ce vous? Ils se remirent à rire à gorge déployée, sans cesser de le regarder du coin de l'oeil. - Arrêtez! Arrêtez! hurla Djany en se bouchant les oreilles. Ils se turent... - Je vous assure qu'il y a une présence ici! Ne la sentez-vous pas, vous qui séjournez dans le secteur? Vous ne vous rendez compte de rien? Je vous ai entendus cette nuit. Vous étiez dans l'entrepôt et il y régnait une ambiance anormale, comme s'il y avait une présence quelque part. Vous n'avez rien vu, rien perçu? - On ne comprend pas de quoi tu parles, mon gars. - Mais enfin, ce n'est tout de même pas vous qui m'avez suivis depuis ma voiture jusqu'à l'entrée de l'usine, n'est-ce pas? - Non, mais on t'a vu entrer et on voulait juste te faire peur et comme on avait une autre clef, on s'est amusé un peu... - Ah... je comprends... Eh bien, pour la peur, vous avez parfaitement réussi! Bravo Messieurs... et adieu... Djany s'éloigna des deux hommes sans se retourner et regagna la route mouillée en direction de sa voiture. IL marchait déjà depuis plusieurs kilomètres, lorsqu'il eut l'impression d'avoir oublié quelque chose. " Mon jerrican! Mais oui, j'ai oublié mon jerrican, il est resté enfermé à l'intérieur de l'usine! Non, je ne retournerai plus jamais là-dedans; ces imbéciles m'ont vraiment rendu parano... Cette pensée fut coupée par une sensation qu'il con naissait trop bien et qu'il redoutait, qu'il méprisait au delà de tout... La présence! Elle était toujours là. IL la sentait tout près de lui. elle ne le lâchait plus! Tour à tour intriguée, inquiète, impatiente, alléchée, elle se demandait ce qui pourrait bien arriver maintenant, à Djany. En outre, elle ne comprenait pas ce qui se passait car c'était la première fois qu'elle était impliquée dans une histoire où, non seulement un personnage la remarquait mais semblait effrayé par son existence! De son côté, Djany se posait les plus étranges questions: " Pourquoi suis-je encore suivi par cette présence impalpable, sur cette sinistre route qui n'en finit jamais de se dérouler devant moi? Pourquoi suis-je revenu sur le chemin de ma voiture, sachant qu'elle ne peut avancer? Serait-ce la seule chose qui pour moi, ait une âme? Peut-être que, lorsqu'il ne reste rien, la matière inerte remplace la matière vivante et les objets deviennent des choses sur lesquelles on peut compter, des confidents, des compagnons affectifs et sincères, une compagnie, tout simplement? Pourquoi vouloir absolument échapper à cette présence dont j'ai tant besoin? Quel incroyable paradoxe! Et si j'étais un être imaginaire, un individu créé de toutes pièces qui ne ferait que passer dans une tranche de temps, au cours d'une histoire aberrante qui ne peut exister dans la réalité. D'ailleurs, pourquoi ne connaîtrais-je ni mon nom, ni mon âge, ni ma nationalité, ni... ni rien de ce qui me concerne? Si ma naissance n'a pas eut lieu, mon décès n'aura sans doute pas lieu non plus, et si je ne possède ni passé, ni futur, alors... alors je n'existe pas ou si j'existe, ce n'est que dans ce présent sombre et absurde! Si je continue d'avancer, de patauger sur cet asphalte détrempé, est-ce pour fuir cette imaginaire présence qui ne semble exister que pour moi-même, de la même manière que ma propre vie ne serait liée qu'à son regard témoin? Comment me libérer de cette emprise autrement qu'en disparaissant à tout jamais? Djany s'arrêta de marcher, cessa de penser et murmura en s'adressant à lui-même: " C'est sans issue... sans espoir... Je suis fichu! Il regarda le ciel et la pluie tombant sur lui, comme si la présence était Dieu, comme s'il lui implorait de l'épargner, comme s'il lui demandait grâce, puis il tendit les bras en croix et cria à s'époumoner: " Je suis foutu! C'est fini! Foutu... bloqué... fini! La présence observait toujours la scène mais il ne se passait plus rien... vraiment rien. Djany hurla encore et encore en vain, s'accrochant désespérément à la vie; la présence le regarda un moment... une dernière fois... puis elle tourna la page et l'oublia, l'oublia pour toujours... |
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