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La Tombola |
Ce n’est le geste qui compte, dit-on, mais l’intention. Ça se discute ! Quand le téléphone sonna chez Viviane Pastourel et qu’elle entendit la voix de Claire Heigelsky qui s’étranglait entre deux sanglots, elle crut que son amie avait un malaise. - Ne bouge pas, j’arrive ! Quatre étages à descendre rue de l’Horloge, cent mètres à parcourir jusqu’à la rue de la Madeleine, trois étages à monter. Viviane reprit son souffle avant d’entamer l’ascension. Elle vit du coin de l’œil les deux camions qui manoeuvraient place de l’Horloge sans plus y prêter attention. Elle entreprit de gravir les trois étages, avec un escalier en colimaçon aux pierres usées par les générations qui l’avaient emprunté durant les trois ou quatre siècles précédents. Au coup de sonnette de madame Pastourel, Madame Heigelsky s’enquit d’un prudent : - Qui c’est ? - C’est moi Claire. Qui veux-tu que ce soit ? - Justement, justement, c’est bien là le problème ! Claire tira bien vite les verrous derrière son amie et ferma à clé la porte de son deux-pièces. Elle prit encore la précaution de coincer une chaise sous la poignée. Quand elle eut repris son souffle, Viviane s’étonna : - Mais enfin qu’est-ce qui te prend, tu as peur de te faire violer ? - Ah, la, la, si ce n’était que ça ! - Mais explique-toi à la fin ! - J’ai gagné ! - Tu as gagné ? - A la tombola, la tombola de Bernadette Barjot. Bernadette Barjot avait fondé une fondation pour la défense des animaux. Claire Heigelsky et Viviane Pastourel étaient deux de ses groupies du temps où elle était encore starlette. C’est tout naturellement qu’elles avaient adhéré à la fondation, d’autant que l’une, Claire, se rendait tous les dimanches après la messe sur la tombe de son chat Vadim, et que l’autre, Viviane, avait un chien galeux qui pissait partout dans son appartement. Il faut dire que Viviane ne se sentait plus de descendre et remonter la bête quatre fois par jour, quatre étages à chaque fois. Elle préférait encore essuyer les petits besoins (et ramasser les gros) de Dario (c’était le nom du vieux galeux) et supporter l’odeur tenace des dits besoins, petits et gros. Bernadette Barjot leur avait écrit qu’elle organisait une tombola. « Sauvons les toros », c’était l’intitulé de l’opération. Le premier prix était « une surprise », livrée à domicile. Ces paisibles ruminants méritaient bien que l’on versât deux euros pour galvaniser leur cause ! Elles avaient acheté chacune un billet. - Tu devrais être contente ? - Oui, mais j’ai gagné « la surprise ». - Et alors ? - Eh bien, lis toi-même ! Elle tendit à Viviane une lettre sur papier recyclé. Au fur et à mesure que madame Pastourel lisait, son visage se décomposait. Dans la rue, les bruits de klaxons parvenaient jusqu’à l’étage de madame Heigelsky. Les camions occupaient toute la chaussée. Des hommes en chemise camarguaise s’affairaient sur les grilles qui recouvraient la caisse du premier véhicule. Ils s’écartèrent. Les grilles s’ouvrirent. Claire et Viviane virent avec horreur le palan du deuxième véhicule hisser le Miura au garrot énorme sanglé hors de la bétaillère, 650 kilos de furie meurtrière s’élever vers le troisième étage, pendant qu’on s’énervait sur la sonnette de l’appartement. www.jeanclauderenoux.com |
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