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Comment Je Me Suis Débarrassé De Ma Belle-mère |
J’ai découvert ma femme en épluchant la colonne amortissement d’une entreprise de pompes funèbres. Je dis bien découvert, car jusque là je n’y avais jamais prêté attention. Il faut dire qu’elle faisait tout pour passer inaperçue : toute petite, jamais de maquillage, des vêtements gris souris. Effacée quoi ! Ce jour-là, c’est son parfum qui m’a fait relever la tête. Elle qui n’en mettait jamais. J’ai vu qu’elle s’était maquillée discrètement et qu’elle portait des bijoux de pacotille. Elle a rougi. Je me suis dit : tiens j’ai fait une touche. Je lui ai proposé de déjeu-ner ensemble. Elle a rougi un peu plus, si c’est possible, et elle a dit oui. J’ai constaté qu’elle ne manquait ni de charmes ni de conversation. J’ai décidé de poursuivre mon avantage en l’invitant au restaurant et au cinéma le soir même. J’ai vu les larmes lui monter aux yeux. Elle a dit dans un murmure : - C’est qu’il y a maman… Elle a fait un effort sur elle-même, elle m’a regardé droit dans les yeux, et elle a ajouté : - Le mardi soir maman va à son « club d’autodéfense pour femmes seules », on pourrait se voir chez vous, ça serait le mieux. C’est ainsi que tout a commencé. Nous nous sommes retrouvés dans mon duplex, elle m’a embrassé sur la bouche et elle s’est déshabillée. Les rendez-vous du mardi de 5 à 7, ça va bien un moment, mais ça nous sembla vite insuffi-sant. Aussi lui ai-je proposé de l’épouser. Elle a encore rougi, les larmes lui sont montées aux yeux, et elle a dit de nouveau : - C’est qu’il y a maman… Je résolus de faire ma demande en mariage en bonne et due forme. C’est comme ça que j’ai rencontré le dragon. Une femme énorme, avec des seins comme des jambons, un regard à foudroyer le moindre contradicteur. Une maîtresse femme quoi ! Elle tenait tellement de place quand elle arrivait quelque part que son mari avait fui au bout de quelques années de vie commune en décédant d’une crise cardiaque foudroyante à trente ans. Quant à son fils, il s’était réfugié dans la schizophrénie à 15 ans. Ne restait que la fille qui avait pris l’habitude de se faire toute petite, toute petite, toute petite, au point de ne pas avoir dépassé les un mètre quarante cinq. Je subis un interrogatoire abrupt : - Ainsi vous voulez épouser ma fille ? - Euh, oui madame. - Il faudra m’appeler maman. J’ai senti ma gorge se nouer. Ça ne passerait jamais. Dire maman à ça, c’était au-dessus de mes forces. Je me débrouillerai pour ne jamais dire prononcer ni maman, ni madame. Avec un peu d’entraînement, j’y arriverai. - Et vous avez un emploi ? - Oui ma…, oui, oui je suis comptable. - Au chômage, grinça-t-elle. - Pas du tout. Je travaille pour plusieurs entreprises et j’ai bien assez de travail comme ça, j’en refuse ! - Un faignant qui refuse de travailler, soupira-t-elle. Mais bon, je ne vais pas faire la difficile, à trente-cinq ans je désespérais de la caser cette gourde-là… Ma femme a souri entre deux sanglots : enfin libre ! Qu’elle croyait ! La date du mariage fut fixée. Le jour des noces, toutes ces dames du « club d’autodéfense pour femmes seules » étaient là. Aux regards qu’elles me lançaient, je redoutais qu’il leur prenne l’envie de s’entraîner sur moi, depuis le temps qu’elles attendaient d’être agressées et pour une fois qu’elles avaient un mâle sous la main. Elles se maîtrisèrent et je sortis indemne de l’épreuve sans bleu, ni plaie, ni bosse. On s’entendait bien Margot (c’est le nom de ma femme) et moi. Le soir elle faisait ses mots croisés, moi j’épluchais mes bilans comptables. On ne demandait rien à personne. Surtout pas à ma belle-mère. C’était mal la connaître ! Elle débarquait à l’improviste, elle critiquait mes vêtements, elle se mêlait de m’acheter des cravates, elle exigeait que l’on mangeât végétarien et bio. Quand elle arrivait, je me précipitais sur le frigidaire pour jeter la viande. La vieille carne regarda un jour dans la poubelle. Elle me jeta un regard qui me glaça le sang, pointant vers moi un doigt accusateur : - Ah, vous voyez, vous voyez… Le pire, enfin le pire avant le coup du chat, ce fut quand elle se mêla de « donner visage hu-main », ce fut son expression, à mon duplex. J’eus beau protester, rien n’y fit : - Vous ne croyez pas que ma fille va vivre dans un taudis pour comptable ! Comptable, elle semblait cracher le mot comme un morceau de fruit pourri qu’elle aurait ava-lé par mégarde. Ma femme ne dit rien, elle se contenta de pleurer, comme toujours. Nous vécûmes dans un chantier durant quinze jours, à tel point que Margot faisait ses mots croisés et moi ma comptabilité au bistrot du coin, devant un thé, ne rentrant chez nous que pour dormir avec l’odeur de colle et de peinture qui nous collait la migraine pour la journée. Enfin le duplex fut prêt pour que nous y commencions « une nouvelle vie », comme disait ma belle-mère. L’entrée vieux rose, la salle de séjour vert d’eau, la chambre pêche, la cuisine vanille. Un cauchemar ! Parce que bien entendu les tentures, les rideaux, les coussins, les draps, les couvertures, les meubles, tout étaient de la couleur des murs. Même le frigo, la cui-sinière et le congélateur qu’elle avait fait émailler vanille. Même le divan en cuir, pourtant dépliable, qu’elle avait fait retapisser vert d’eau. Et le plus beau, ce fut quand le tapissier, le décorateur, les peintres, me présentèrent la facture. - Vous ne croyez quand même pas que je vais payer pour vous, s’indigna-t-elle. Vint le pire du pire. Le « club d’autodéfense pour femmes seules » organisa un stage de quinze jours en Auvergne. Ma belle-mère débarqua avec son chat ! - Prenez-en soin, dit-elle ne me le collant dans les bras, j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux, c’est mon seul compagnon. Et qu’il ne lui arrive rien, qu’il ne lui arrive rien… Ah, n’oubliez pas d’aller le promener tous les soirs à 20 heures précises. Il a ses habitudes, d’ailleurs voici sa laisse. Quinze jours sans belle-mère, c’était alléchant. Avec ce chat qui venait se fourrer dans vos pieds, qui laissait des poils partout, et qui pleurait à 20 heures pile, le salaud, pour sortir, le plaisir en était gâché. Il fallait bien qu’il arrivât une tuile. Ça n’a pas tardé ! Trois jours de pension plus tard, alors que je promenais l’autre salopard, voilà qu’un chien se précipita sur lui. Le chat s’étrangla. Je lâchai sa laisse en espérant qu’il grimperait dans un arbre. Il faut croire que cette bête était aussi con que sa maîtresse. Il ne trouva rien de mieux que de traverser la rue ! Un semi-remorque, plus de chat ! Enfin si, une galette de chat que je me voyais mal présenter dans cet état à l’autre folle. Ma femme pleura, bien entendu ! Nous redoutions le retour de la mégère quand, oh miracle, un soir en revenant du travail je vis un chat semblable à l’autre con. Un rouquin, avec la même flamme blanche entre les yeux. Il trottinait vers moi en miaulant ! Je le pris, je vérifiai qu’il s’agissait bien d’un mâle (on ne sait jamais), et je revins tout content à la maison. Pour le soigner, on l’a soigné ce chat : du pois-son frais tous les jours, du lait non écrémé, on l’a brossé, peigné. Ma belle-mère de retour, elle prit son chat, elle le caressa, elle lui fit des mamours sans plus s’occuper de nous… Tout à coup elle devint blême et s’écroula. Il y avait le fauteuil retapissé et repeint vert d’eau qui lui tendait les bras. Le valeureux fauteuil gémit, mais il n’a pas cédé. J’eus un bref moment de joie intense. Enfin crevée la vieille carne ! Hélas non, elle n’était qu’évanouie. On lui fit respirer du vinaigre. Elle revint à elle. Les yeux exorbités, elle gueula : - Elles ont repoussé, elles ont repoussé ! - Mais quoi ? - Les roubignolles, elles ont repoussé. Je l’avais fait opérer avant de partir. Ce jour-là, on a ri, on a ri, ma femme et moi, tellement qu’on ne pouvait plus s’arrêter. Ma belle-mère est partie, fâchée. On ne l’a plus jamais revue. Elle peut toujours attendre pour qu’on fasse les premiers pas ! www.jeanclauderenoux.com |
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