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MICHEL EMBARECK |
Jim Morrison Et Le Diable BoiteuxAux éditions ARCHIPEL |
325Lectures depuisLe lundi 4 Octobre 2016 |
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Une lecture de |
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Parution 24 août 2016. 222 pages. 17,00€. Ça c'est d'la musique ! De la vraie musique ! Alors là pardon Moi j'dis chapeau ! Ça c'est champion ! Écoute-moi c't'air-là Hein ! Qu'est-ce que tu m'dis d'ça ? C'est pas du bidon Ni d'la guimauve Minute papillon ! Lorsqu'elle chantait ces paroles en 1958 puis plus tard lors de ses concerts, Colette Renard pensait-elle à la nouvelle vague du Rock'n'roll qui déferlait sur la France avec les groupes qui reprenaient, plus ou moins bien, les mélodies venues d'Outre-Atlantique ? Gene Vincent cartonnait avec Be-Bop a Lula, tandis que Jim Morrison n'avait pas encore intégré les Doors, groupe qui ne fut fondé qu'en 1965. Deux univers musicaux différents, et pourtant complémentaires, si complémentaires que les deux hommes, les deux chanteurs, les deux musiciens vont devenir amis et connaître un destin presque similaire, décédant dans des circonstances tragiques à quelques mois de distance en 1971. Avec la drogue et l'alcool comme lien de fraternité. Michel Embareck revient sur la période 1968/1971, au cours de laquelle les deux hommes vont connaître des tribulations épiques, ensemble ou séparément, les dernières années de leur vie alors qu'ils possèdent une vision de l'avenir différente. Gene Vincent a toujours Be-Bop-A-Lula d'accroché aux cordes de sa guitare, alors qu'il a composé et chanté bien d'autres tubes. Il est sur une pente plus que savonneuse, et ne se produit plus que pour de petits cachets, histoire de monnayer sa morphine et non mort fine. Sa jambe se rappelle continuellement à son mauvais souvenir, tandis que le gant noir de sa main gauche s'arrime aux comptoirs et lui remémore son ami Eddie Cochran, parti dans un accident de voiture dont lui-même fut une victime. Mais sa jambe amochée, c'était beaucoup plus tôt, dans un accident de moto. Un destin presqu'à la James Dean. Sauf qu'il en a survécu. Et qu'il a voyagé de par le monde, donnant des concerts en Europe, au Japon et ailleurs. Contrairement à Elvis Presley qui lui n'a jamais quitté les Etats-Unis, sauf pour son service militaire en Allemagne. Jim Morrison est plus jeune, il chante dans le groupe des Doors, mais il rêve d'autre chose. Pas forcément d'Hollywood, mais de tourner un film. Il s'est d'ailleurs inscrit, malgré l'opposition de sa famille, à la nouvelle faculté de cinéma de Los Angeles. C'est un poète qui lit beaucoup, ses préférences allant à Jack Kerouac et Rimbaud, entre autres. Et sa rencontre dans un bar avec Gene Vincent lui offre l'occasion de réaliser son rêve. Du moins c'est ce qu'il pense. Pourtant si tout les rassemble, tout pourrait aussi séparer les deux musiciens. Gene Vincent est un adepte du Rock, du Rockabilly, avec des sonorités de guitare pures tandis que Jim Morrison prône pour une musique plus psychédélique, et la fluidité du son des guitares n'est plus de mise. Michel Embareck nous entraîne sur la route de ces deux icônes des jeunes de l'époque, de Miami en décembre 1968, à Los Angeles en Octobre 1971, les présentant tour à tour, ou ensemble, lors de leurs frasques éthyliques et musicales, leur redonnant vie. Le véritable commentateur n'est pas Michel Embareck, cet historien du Rock, le lien entre ces deux hommes est un vieil homme, Walker Simmons, surnommé Le Rôdeur de minuit, un ancien présentateur radio de Shreveport, Louisiane, dont les ondes arrosaient les états de deux cents à trois cents miles à la ronde. Et pour partenaire de narration, il engrange les souvenirs d'Alice Cooper, musicien des années 70 explorant toutes les facettes du Rock, hard rock, heavy metal, new vave, et connu pour ses excentricités scéniques et son maquillage. Entrecoupés des tribulations de Gene Vincent et de Jim Morrison, les souvenirs du Rôdeur de minuit nous ramènent à une fiction-réalité dans laquelle le lecteur croise les figures de John Lennon et de sa femme Yoko Ono, qui pour beaucoup fut son égérie et son ange noir, Elvis Presley, Charles Manson, et bien d'autres dont Eddy Mitchell, au gré de leurs pérégrinations, voyages à l'étranger, concerts sulfureux sur le sol américain, Woodstock par exemple dont seules résistent au long des années pour la plupart des gens des images sulfureuses des milliers de festivaliers qui se débarrassaient des chaînes du puritanisme intransigeant de l'oncle Sam, ou encore Altamont de sinistre mémoire à cause d'un coup de couteau assené par un spectateur, Miami, Toronto ou Paris, Paris qui vouait encore une certaine reconnaissance à Gene Vincent alors qu'il était quasiment oublié chez lui. Le Rôdeur de minuit, lors de la remémoration de ses souvenirs ou de ses conversations avec Alice Cooper, tente de démêler le vrai du faux, de trier et faire le ménage dans les déclarations, les mensonges, concernant certains épisodes de la vie des deux protagonistes qui revivent sous la plume de Michel Embareck, sur la naissance de Be-Bop-A-Lula ou le passage comme militaire en Corée de Gene Vincent, et bien d'autres anecdotes qui alimentèrent les médias, et principalement les torchons, pardon les journaux à scandales. Nostalgie, quand tu nous tiens... Et d'autres images remontent à l'esprit du lecteur qui a connu cette époque, plus Gene Vincent en ce qui me concerne que Jim Morrison, celles de concerts, de chansons adaptées en français et interprétées dans un style musical approximatif par des jeunots lancés sur la scène musicale et ne durant parfois que la production de deux ou trois 45 tours. Celle du clone de Gene Vincent dont il n'est pas question ici mais qui fit du bruit médiatique, le faisant surnommé le Bad Boy du Rock français, et qui chantait dans la mouvance d'Elvis Presley, d'Eddy Cochran, de Chuck Berry ou de Little Richard. Mais ce qui ne pourrait n'être qu'un document sur les dernières années de Gene Vincent et de Jim Morrison se transforme en révélations sur la mort du chanteur des Doors. Accident, suicide, assassinat ? Michel Embareck délivre sa version étayée sur ce qui reste une énigme, puisant dans des rapports rapidement rédigés dont la partie de l'adultère et de la transmission d'héritage en sont omis. Une vision personnelle servie par une écriture brute et onirique à la fois, ne s'arrêtant pas sur le récit des trois années de galère alimentées par la drogue, mais griffant au passage quelques confrères journalistes peu scrupuleux. Par exemple lors du scandale dénoncé, non par des policiers mais par un article paru dans le Miami Herald. Jim Morrison avait-il montré son Zgeg (je n'ai pas besoin de traduire) le 1er mars 1969 au Dinner Key Auditorium de Miamy ? Un article ambigu où personne ne comprenait si le pisse-copie avait assisté au show ou s'il relayait un témoignage anonyme. L'enquête, si l'on peut parler d'enquête, n'a pas permis d'établir la source. La une du quotidien évoquait pêle-mêle une incitation à l'émeute, une masturbation simulée doublée d'une copulation orale. Autant d'accusations non retenues par la justice mais propres à émouvoir des péquenauds de lecteurs appelés à un rassemblement contre "l'indécence" à l'Orange Bowl - le stade mythique de Miami - par Jackie Gleason, animateur télé, intime de Nixon. Un ouvrage minutieux, propre à réveiller les sens musicaux de notre adolescence, où si tout n'est pas vrai, tout n'est pas faux. Et quant aux plus jeunes, qui n'ont pas connu cette période, ce livre leur ouvrira des univers méconnus et si passionnants. PAUL MAUGENDRE |