Critiques Polar-Jazz - ALAIN GERBER


Chet

ALAIN GERBER


Chet

Aux éditions LE LIVRE DE POCHE 30886

447

Lectures depuis
Le samedi 11 Janvier 2009
 
 

Une lecture de
PAUL MAUGENDRE


Ils sont venus, ils sont tous là, la convocation à la main. Ils se présentent groupés auprès de l’écrivain qui les attend dans son bureau, un à un, armé d’une ramette de papier, quelques stylos en réserve. Et ils défilent les uns derrière les autres, sollicités parfois pour une nouvelle audience. Car l’écrivain veut tout savoir, tout connaître, sur ce que fut la vie de Chet Baker. L’homme à la trompette dort depuis 1988. Le premier à enter sur scène, c’est Sonny “ Slipper ” James , le marlou qui n’aimait pas la musique de jazz et encore moins celle jouée par un Blanc. Et puis, il avait été commandité pour casser la figure du camé qui ne réglait pas ses notes de drogue. Il y a la mère et le père qui témoignent eux aussi, pas ensemble, des musiciens dont Gerry Mulligan, Jimmy Rowles, Dick Twardzik, Phil Urso, Dizzy Gillespie, Paul Desmond ou Stan Getz, des producteurs, des amis, des adversaires, ses femmes, officielles ou non, et d’autres encore, des inconnus, ectoplasmes créés pour l’occasion, afin de donner du poids, de la consistance aux déclarations, de mieux comprendre certains faits, certains évènements. En chef d’orchestre minutieux et aguerri, la partition bien réglée, Alain Gerber a établi un ordre d’entrée en scène des divers intervenants, afin d’obtenir un rythme enlevé, parfois tonitruant, parfois nostalgique, à l’image de la mélodie sortant de l’instrument d’un trompettiste au sommet de son art. Des notes discordantes s’élèvent quelquefois, du fait de la mauvaise fois des participants, mais Alain Gerber ne s’en laisse pas conter. Et nous retrouvons Chet Baker, souvent comparé physiquement à James Dean, beau gosse aimant la vitesse et les belles voitures, à l’orée de sa vie d’artiste. C’était un bon p’tit gars, et la musique était tout pour lui. Il a tout donné, elle lui a peu rendu. Les honneurs et la gloire il a connu, la déchéance aussi, plus souvent qu’à son tour. Il a côtoyé des drogués, pourtant à part de l’herbe, il restait relativement sage, ne buvant pas d’alcool contrairement à ses compères. Il a commencé sans trop savoir pourquoi ni comment. Dépit sentimental, décès de son complice Twardzik lors d’une tournée à Paris, envie refoulée trop longtemps ?. S’enchaînent les démêlés avec les forces de l’ordre, d’abord aux USA, à cause de sa consommation d’herbe, puis lorsqu’il s’est adonné aux drogues dures en Italie, en Allemagne, un peu partout, rejeté comme un malpropre. De sa naissance, le 23 décembre 1929, en Oklahoma, son arrivée en Californie, ses débuts avec Charlie Parker, et bien d’autres qui gravitaient dans le sillage du Bird, Miles David, Dizzy Gillespie, puis Gerry Mulligan ou Stan Getz, ses premiers succès, ses premières bêtises, ses amours, son arrivée sur la côte est, le passage à tabac par une petite frappe aux ordres de l’Homme afin de récupérer l’argent de la fenaison, son passage à vide, sa dent manquante, ses gencives douloureuses, son incapacité à sortir la moindre note de son instrument, sa pugnacité, les nouveaux débuts, les accueils triomphants ou les huées, son arrestation en Italie, ses démêlés conjugaux, son manque d’argent chronique, jusqu’à sa mort en 1988, un 13 mai, un vendredi, à Amsterdam, passant par la fenêtre d’un hôtel, désirant peut-être rejoindre les anges cachés derrière les nuages et qui en l’entendant étaient…aux anges.

Alain Gerber nous offre un roman biographique, ou une biographie romancée, peut-être plus proche de la réalité que les biographies officielles, écrites souvent avec un point de vue partisan, rédigeant avec lyrisme, poésie, rigueur, tendresse, sincérité, une vie de gloire et de déchéance. Mais Chet Baker, héros malgré lui d’un roman noir, vit toujours, grâce à son héritage discographique.
PAUL MAUGENDRE




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