Critiques Polar-Jazz - H. PAUL JEFFERS


Jazz Gang

H. PAUL JEFFERS


Jazz Gang

Aux éditions SERIE NOIRE- GALLIMARD, 1982

379

Lectures depuis
Le jeudi 2 Aout 2007
 
 

Une lecture de
BOB GARCIA


Jazz Gang, c’est la rencontre du jazz et des gangsters comme si on y était, entre polar et chronique historique !
New York. La prohibition. En pleine période swing, les grands noms du jazz côtoient les petites frappes. Et les champions de la sulfateuse protègent les petits clarinettistes sans technique. Les jam-sessions d’étirent jusqu’aux petites heures du matin pour un public d’aficionados imbibés jusqu’à la moelle et camés jusqu’aux yeux. Les filles ne sont pas farouches, les garçons ne demandent pas mieux.
On prend le train A pour aller s’encanailler. Duke Ellington connaît bien la ligne et compose Take the A train. La 52e Rue dans les brancards et les danseurs épuisés ont les jambes en Cotton Club. Les musiciens Noirs suent sur scène, mais la salle leur est interdite. Dehors, les miséreux battent la semelle en rythme, ça réchauffe. New York est un univers de contraste. Les paillettes ne sont qu’une illusion : « Par les fenêtres du 64e étage de l'immeuble RCA ; la claire nuit d’hiver laissait voir la ville sur des kilomètres dans tous les sens. Manhattan était un tissu de velours noir ou qu'on avait jeté des diamants et des rubis étincelants, telles les pierres sur le présentoir de Samuel Kipinski. »
Tout ce petit monde était fait pour s’entendre : « C'était logique que Owney Madden ce soit intéressé à un endroit comme le Cotton club de Harlem, car il avait compris instinctivement que la bonne gnôle collait naturellement avec la bonne musique. Pendant la Prohibition, Owney avait entendu parler d'un dancing situé au coin de la 142e rue et de Lenox Avenue, et dont on avait essayé plusieurs fois de faire club. Un de ces essais revenait au boxeur Jack Johnson qui avait ouvert une boîte appelée le Club DeLuxe, sans grand succès.
Owney avait intérêt a trouvé à Harlem un débouché pour la bière « Madden N°1 » ; le club se métamorphosa et s'engagea sur la route de la réussite sous le nom de Cotton club. Le Cotton devint une boîte où les blancs venaient se distraire à des spectacles somptueux montait par les Nègres et qui présentaient des danseurs époustouflants, des chanteuses excitantes et du jazz. L'orchestre de Duke Ellington y connut son premier grand succès, suivi en 1930 par Cab Calloway et son style « hi-de-ho ». Il y eut de grandes chanteuses, comme Ethel Waters. Lena Horne. À cette époque, les Blancs étaient dans le public et les Nègres sur la scène, mais la barrière des couleurs s'entrouvrit en 1932, de sorte que les familles des artistes du spectacle et les vedettes noires se mirent à entrer par la porte principale comme par celle des coulisses.
L'orchestre que présenté le Cotton, alors que Ben Turner et moi nous nous y rendions par le métro A, était celui de Jimmie Lunceford, renommé pour sa classe. Son nom apparaissait en lettres lumineuses sur une marquise carrée, et l’énorme « C » négligemment dessinés du mot « Cotton » ressemblait à un hanneton. Le trottoir sous la marquise ruisselait de lumière. Une foule bruyante arrivée du centre-ville passait la porte et, montant l'escalier, pénétrer dans le club en forme de fer à cheval, on avait poussé la capacité de remplissage à l'extrême limite reliant un sens des tables minuscules, de sorte que les clients s’y pressaient au coude à coude sur deux rangées qui dominaient la piste de danse et la scène incroyablement exiguë. Le décor était somptueux dans le genre primitif : exactement l'atmosphère qui plaisait aux noctambules blancs lorsqu'il venait son cavalier Harlem. »
Les patrons de boîtes ne sont pas des saints : « […] Le propriétaire de l'onyx était le jovial Joe Helbock, qui avait commencé comme bootlegger, en 1927, avec un service abonnement téléphonique et deux ou trois mômes pour livrer la marchandise aux clients qui appelaient. Helbock se vantait de pouvoir « vieillir » une bouteille clandestine entre le moment où on téléphonait et celui où le gosse sortait livrer le colis. Ce commerce mit Helbock en contact avec les gens du spectacle et les musiciens ; et lorsqu'il décida d'ouvrir un speakeasy bien à lui, il chercha un endroit qui plairait aux musiciens. Il avait remarqué la réussite du Plunkett’s dans la 53e rue, une étroite boîte obscure, à l'ouest de Broadway, où obliquait le métro aérien de la neuvième avenue. Helbock copie n’a avec Paul Whiteman et Jimmy Dorsay, et observa que les musiciens aimaient traiter leurs affaires dans les bars et les cafés ; aussi, quand il décida d'ouvrir son club, il chercha à le leur rendre agréable. Ce qui signifiait de la bonne musique, et c'est ainsi que l'onyx fit entrer le jazz dans la 52e Rue. Est très bientôt, la 52e, entre la cinquième et la sixième avenues, fut baptisée La Rue. Le berceau du jazz. »
« […] Là ou il y avait de la gnôle, de l'argent et de la réussite, il y avait aussi les gangsters, de sorte que La Rue devint celle de la musique et des gangs. En cela, La Rue n'étais pas différente de bien d'autres coins de Manhattan.
Les bistrots fleurissaient partout, mais la 52e était toujours la rue la plus arrosée. Asseoir, l'humoriste Robert Benchley procéda personnellement à un recensement de La Rue ; il compta trente-huit bistrots et but un verre dans pratiquement chacun d'entre eux. Benchley et sa bande de littérateurs préféraient le 21 de Jack et Charlie, ou le Tony’s, que tenait Tony soma, qui pouvait chanter des arias d'opéra tout en faisant du yoga les pieds en l’air. Selon moi, le Tony’s et le 21 étaient réservés à l'élite et je n’y allait que pour affaires.
Pour rester ouverts, tous les clubs devaient conclure désaccord, soit avec les gangsters soit avec les flics, ou avec les uns et les autres. Dans le centre-ville, les gangsters avec lesquels s'arrangeaient les propriétaires de speakeasies étaient contrôlés par Owen Madden, Owney le Tueur. À l'époque où Jimmy Walker était Maire et Madden à son zénith, le journaliste Ed Sullivan disait : « suffit de demander à Owney et on obtient ce qu'on veut : protection, services particulier et ce genre de truc. Quand on connaît Madden, c'est comme si on connaissait le Maire. » La vérité, c'était que si on connaissait Madden, en n'avait pas besoin de connaître le Maire. »
« […] L'abrogation de la loi été chose faite et le commerce de la gnôle, auxquelles les gangsters devaient d'exister, devint légale du jour au lendemain. Fiorello La Guardia ne tarda pas à proclamer son intention de faire la guerre aux gangs s'ils envisageaient de poursuivent leur activités à New York. L'une de ses principales cibles était Owney, le gangster amateur de jazz qui n'avait permis de monter au septième ciel en compagnie des plus grands noms du jazz.
Owney fêtait sa sortie de Sing Sing ; assis à sa table habituelle, il écoutait Art Tatum jouer du piano entre deux passages des Esprits quand la jam-session démarra. Tommy et Jimmy Dorsey, qui venaient d'entrer avec Paul Whiteman, n'attendirent guère pour se joindre à Tatum et Watson. Plusieurs autres musiciens se pointèrent. Puis d'autres encore. Une jam-session mémorable était en route…
Joe Sullivan avait remplacé Tatum au piano. Jack et Charles Teagarden étaient du groupe. Dick McDonough était à la guitare et Manny Klein à la trompette. Un peu plus tard les Dorsey s’y remirent et Bunny Berigan pris la trompette, tandis que Frankie Chase et Bud Freeman se succédaient au saxo ténors. La jam-session se poursuivit jusqu'aux petites heures, chaque homme attaquant à son tour, cassant et recollant la mélodie à sa manière, la développant, en faisant quelque chose de neuf est digne d'écoute.
« […] La plupart des maisons devinrent donc des speakeasies, des troquets et des boîtes de jazz. Il semblait plus ou moins logique de faire voisiner le jazz avec du gin et du scotch de contrebande dans des pièces bondées, enfumées et bruyantes, dans les étages, au rez-de-chaussée ou dans les caves des maisons transformées. Les New-Yorkais chics y côtoyer les hommes politiques, les gangsters, les fourgueurs de came et les musiciens, et lichaient de la gnôle au son des rauques saxos, du gémissement des clarinettes, du cuivre des trompettes, des trombones à coulisse et des notes perlées des pianos. Pour entendre du jazz comme ça, il fallait aller à Harlem avant que l'onyx ne l'amène en beauté dans le centre ville. »
Et comme toujours, les jazz fans largués qui ne ratent pas une occasion de mettre les pieds dans le plat : « Lorsque j’entrai, une nana à moitié ronde bavardait avec le trombone Mike Riley.
- ça doit être est difficile de jouer de cet instrument, disait-elle d'une voix traînante de femme soûle en désignant le corps d'harmonie que Mike avaient en main.
Mike sourit.
- pas du tout, fit-il en soulevant le cor. Il n'y a qu'à souffler là-dedans est appuyer sur la clé du milieu. La musique rien par ici et s'en va par là.
Le trompettiste Ed Farley failli se flanquer par terre de rigolade. »
Et ceux qui tombent en extase : « Le régal, c'était Gershwin qui allait jouer au piano des extraits d'une nouvelle oeuvre qu'il était sur le point d'achever, un opéra, par moins, appelé Porgy and Bess, pour lequel y collaborer avec un écrivain nommé Dubose Heyward, qui habitait la Caroline du sud. Ils avaient travaillé par correspondance, méthode qui m’en fichait plein la vue. Au piano, Gershwin commença à jouer « Summer Time », Papa et moi on devint silencieux, ce qui était notre habitude à tous deux lorsqu'on écoutait de la bonne musique. »
La femme du gangster, égale à elle-même : « Gloria Seldes était femme à cent pour cent. Outre qu'elle buvait des cocktails au Cointreau et fumait des Marlboros - des cigarettes de dame à bouts ivoire -, elle affectionnait les chapeaux inclinés sur la droite. Elle portait des écharpes et des robes style 5e avenue qui soulignaient sa silhouette. Elle me confia qu'elle gardait la ligne en évitant les sucreries ; et pourtant, elle adorait les chocolats de chez Whitman que Joey avait l'habitude de lui acheter, mais qu’elle jetait dès qu'il avait le dos tourné. Elle eut un rire de gorge qui s'accordait avec ces cocktails au Cointreau et son chapeau coquin. »
Le flic qui fait ce qu’il peut : « De l'autre côté de la deuxième avenue, recroquevillée au volant de sa voiture banalisée pour ne pas se fait remarquer, dans l'ombre crépusculaire du métro aérien, l'inspecteur Mike Grady se voyait comme le nez au milieu du visage. »
Et la musique lancinante jusqu’à l’obsession, qui hante les personnages jusqu’au fond de leur sommeil : « Nulle torture subie par l'homme n'est comparable à la fois tourment infligé par une chanson qui me trotte dans la tête et dont il est impossible de se rappeler le titre. J'avais bien reconnu dans celle qu'il obsédés, et que je sifflotais tout le long de la 56e rue, une oeuvre de Gershwin des années 20, la désert les plus habituellement syncopés d'une de ses comédies musicales ; mais quelles comédies et qu'elle en était le titre, cela m'échapper totalement. Ce n'est que moment où, entrai en coup de vent à l'onyx, je sifflais l'air en question à Art Tatum, que je me rendis compte de la faculté qu’a la musique de s'insinuer en vous et de ranimer les choses qui me tracassent réellement.
- C’est dans Tip Toes, n'affirma Tatum, ses mains extraordinaires courant déjà sur le clavier dans une interprétation « à la Tatum » de la chanson qui me dit être intitulée « je cherche un garçon ».
Lorsque Tatum eut fini, je fis signe a Louie d'apporter une bière au pianiste calé qui avait mis un terme à ma souffrance. Tatum était un fameux buveur de bière. En fait, je n'ai jamais connu personnes qui soient capables d'en descendre autant que lui. Tandis que je m'écartais du piano, je me remis ainsi fait l'air. »
La musique qui efface les maux : « Je me levai et descendis à l'onyx afin d'oublier, grâce à la musique, toutes les questions auxquelles je ne trouvais pas de réponse. Il était tard. Ou plutôt de bonheur le matin, et la boîte allait bientôt devoir fermer pour permettre à quelqu'un d'éclairer la salle en grand, de la balayer et de la débarrasser des bouteilles vides. À la fin, les airs devenaient moelleux et le jazz était en liberté. Une poignée de musiciens des Trois As étaient venus écouter. Johnny Mercer, un jeune compositeur-parolier plein de talent, était adossé au mur, en équilibre sur un siège qui semblait près à s’effondrer. Jack Robbins, l'éditeur que tout le monde appelait Monsieur Musique, était là. Lou Lévy, l’imprésario, sirotait le petit dernier. L'assistance était très détendue et je savais qu'avant peu l'un d'entre eux aller dire : « allons nous taper un zoziau avec des cordes », argot pour poulet aux spaghetti, puis proposer un petit tour chez Dicky Wells, dans la 136e Rue Ouest, un des endroits préférés des habitués de l'onyx pour faire des jam-sessions après les heures d'ouverture. »
Et pour conclure, un feu d’artifice : « Le 28 février 1935, un incendie se déclara dans une arrière-salle de l'onyx club et la boîte brûla. Planté de l'autre côté de La Rue, j'observais la chose j'avais l'impression d'avoir reçu un coup de pied dans les parties. Ce n'était pas parce que mon bureau s'évanouissait en fumée. Il n'y avait pas de quoi pleurer sur ce que j'y perdais. Non, c'était l'onyx qui s'en allait. Je savais que Joe Hellbock ouvrirait un nouvel onyx, mais selon moi, ça ne serait plus jamais le même. »
Reste que Jazz Gang est aussi une sacré intrigue policière qui tient la route.
Tiens, ça me fait penser que j’ai enregistré Take the A Train en public à Saint-Germain-des-Près il y a quelques années. Mais l’ambiance était plus soft que dans Jazz Gang, à part que le batteur est mort à force de se désaltérer, que le pianiste s’est suicidé et que le patron de la boîte s’est fait descendre en rentrant chez lui. Les musiciens n’ont jamais été payés. On ne peut pas tout avoir.
BOB GARCIA




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