A l’origine, Sherlock Holmes ce furent quatre romans de Sir Arthur Conan Doyle, publiés entre 1887 et 1915 (1), ainsi que cinquante-six nouvelles, regroupées en cinq recueils, parus entre 1892 et 1927 (2). Puis ce furent deux autres romans édités aux USA à titre posthume (3).
Autant dire que si l’on compare ce personnage littéraire à Son Altesse Sérénissime Malko Linge, connu sous l’acronyme de SAS, « y’a pas photo », ce dernier le surpasse aisément du haut de ses 200 mésaventures qui courent de 1965 à 2013. Pourtant, Sherlock Holmes, malgré sa maigreur babillarde, arrive bon premier dans la course à la célébrité.
Peut-être que la réponse à ce mystère se situe hors de la littérature ? Peut-être que ce ne sont pas les ouvrages canoniques qui soufflent dans les trompettes de sa renommée ? Peut-être convient-il de rechercher la clé de ce paradoxe dans le lien profond qui se noua dès l’origine entre le cinéma et ce personnage ?
Cent dix ans de cinématographe.
La première apparition de Holmes, sur le grand écran, date de 1900, avec un court-métrage de moins d'une minute, « Sherlock Holmes Baffled ». Cinq ans plus tard, il revient avec « Adventures of Sherlock Holmes », un moyen-métrage d’une quinzaine de minutes. D’évidence le personnage de Holmes est organiquement indissociable de la naissance du cinéma, de son essor et du succès de l’industrie cinématographique. Et ce ne sont pas moins de 260 films qui le porteront à l’écran entre 1900 et aujourd’hui.
Après avoir traversé les trois décennies qui vont jusqu’aux années 30, Holmes cesse de n’être qu’une image pour s’enrichir d’une voix. Et c’est ainsi qu’en 1929, Clive Brook (4) lui prête sa voix dans « The Return of Sherlock Holmes ».
Entre 1931 et 1937, Arthur Wontner incarne avec succès le personnage à cinq reprises, mais la déferlante (5) Basil Rathbone (Sherlock Holmes) et Nigel Bruce (Docteur Watson) va effacer des mémoires cette série anglaise.
Les années 50 et 60 voient, tout naturellement, Holmes envahir les écrans cathodiques (6) qui équipent de plus en plus de foyers de familles moyennes.
Pour son retour dans les salles obscures, dans les années 70, le détective se pare souvent des attraits de la parodie ou du pastiche. Et parfois Holmes n’est pas celui qu’il croit être, mais un patient d'hôpital psychiatrique ou un amnésique…
Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin, qui symbolisait la division de l’Europe en deux camps irréconciliables depuis les accords de l’Yalta (février 1945), tombe. Les adeptes des théories de la conspiration ne manqueront pas de rapprocher cet événement avec le fait que Holmes (Vassili Livanov) ait sévi en Union Soviétique, entre 1979 et 1986 (7) puis dans le monde libre (8).
Les années des renouveaux
Holmes va poursuivre paisiblement sa carrière cinématographique jusqu’au tournant de 2009 où, avec le « Sherlock Holmes » de Guy Ritchie avec Robert Downey, il se déguise en blockbuster une première fois avant d’enfiler de nouveau ce costume en 2011 avec « Sherlock Holmes : Jeu d'ombres » toujours de Guy Ritchie et avec Robert Downey (9)
Sur le petit écran, la fin de la première décennie du XXI siècle marque aussi une importante réorientation du personnage.
En 2010, la BBC propose « Sherlock », une série en trois saisons de trois épisodes chacune et d’un spécial Noël 2013, avec Benedict Cumberbatch (Holmes) et Martin Freeman (Watson), où le portable et le web remplacent la loupe et la pince à épiler.
Puis, fin 2012, sur CBS démarre « Elementary » (10)
Célibataire et misogyne, mélomane et cocaïnomane, égotiste et probablement atteint du Syndrome d'Asperger, Sherlock Holmes vit seul au 221B Baker Street dans l’appartement que lui loue Mrs Hudson, appartement où il ne reçoit que son unique ami le docteur Watson.
Quelle est la véritable nature des relations qui lient ces deux hommes ? Certains ont avancé l’hypothèse de l’homosexualité, latente ou patente (11), d’autres se sont contentés de la version officielle : Watson est le biographe de Holmes. Quoi qu’il en soit, l’un sert à l’évidence de faire-valoir à l’autre.
Que serait la géniale clairvoyance d’un Sherlock Holmes sans la lenteur d’esprit du Docteur Watson ? De même, comment pourrait-on percevoir l’infinie sagacité du consulting detective sans l’insondable balourdise des forces de l’ordre ?
Si « Elementary » se conforme aux principaux traits de caractère de Holmes, cette série n’en revisite pas moins le mythe, à tel point que l’on ne reconnait quasiment plus le personnage.
Sherlock Holmes a quitté Londres et s’est installé à New York où il a suivi une cure de désintoxication. En effet, il était devenu totalement accro à l’héroïne après qu’Irène, la femme de sa vie, ait été sauvagement assassinée. Autant dire que l’hypothèse de l’homosexualité patente disparait…
Au sortir de sa cure, il est contraint de cohabiter avec le Dr Joan Watson, ancienne chirurgienne reconvertie en compagnon de sobriété (12). Autant dire que les relations entre Watson et Holmes ne baigneront plus dans des senteurs homosexuelles… ce qui n’exclura pas de possibles rapports sexuels entre eux (13).
Devenu consultant auprès du NYPD, Holmes entrainera le Docteur Watson dans chacune de ses enquêtes, mais à l’opposé de l’imagerie ordinaire, Holmes ne l’écrasera pas de sa superbe, tout comme il ne tiendra pas la police pour une bande de crétins incapables.
Quant au maléfique Moriarty, le double criminel du détective, le spectateur abasourdi découvrira, lorsque se refermera la saison un, que lui et Irène ne sont qu’une seule et même personne. En d'autres termes, ce même spectateur réalisera que Moriarty et Holmes ont eu des rapports sexuels !
1- Une étude en rouge (1887) • Le Signe des quatre (1890) • Le Chien des Baskerville (1902) • La Vallée de la peur (1915)
2- Les Aventures de Sherlock Holmes (1892) • Les Mémoires de Sherlock Holmes (1894) • Le Retour de Sherlock Holmes (1905) • Son dernier coup d'archet (1917) • Les Archives de Sherlock Holmes (1927)
3- L'Aventure du grand homme, Sur la piste du faussaire
4- L’acteur reprendra le rôle dans deux autres films.
5- Quatorze films entre 1939 et 1946
6- « Sherlock Holmes » série anglaise de 29 épisodes en deux saisons (1965et 1968) avec Douglas Wilmer est certainement la plus connue.
7- Les Aventures de Sherlock Holmes et du docteur Watson. Série de 5 téléfilms en 11 épisodes.
8- Sherlock Holmes. Série de 5 téléfilms en 36 épisodes avec Jeremy Brett (Holmes) et David Burke (Watson). 1984-1994
9- Notons qu’en 2010 se glisse le mockbuster Sherlock Holmes : Les Mystères de Londres.
10- Les producteurs de la série britannique, Sherlock semblent avoir renoncé à poursuivre CBS en justice
11- La Vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder (1970) avec Robert Stephens (Sherlock Holmes) et Colin Blakely (Watson)
12- En 1976, dans le film They Might Be Giants le Docteur Watson apparaissait pour la première fois sous les traits d'une femme
13- Gageons que cela constituera l’un des arcs de la sérieL A
Le dimanche 12 Janvier 2014 |
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