Production : Gainsborough, Michael Balcon, 1926. Réalisation: Alfred Hitchcock. Scénario: Alfred Hitchcock et Eliot Stannard, d'après le roman de Mrs Belloc-Lowndes. Directeur de la photographie: Baron Ventimiglia. Décors: C. Wilfred Arnold et Bertram Evans. Montage et titres: Ivor Montagu. Assistant-réalisateur; Alma Reville. Studios: Islington. Distribution: Wardour & F. 1926, 6 bobines, 7 685 pieds. Interprétation: Ivor Novello (le locataire), June (Daisy Jackson), Marie Ault (Mis. Jackson, sa mère), Arthur Chesney (Mr. Jackson), Malcolm Keen (Joe Betts, le policier, fiancé de Daisy). |
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Synopsis |
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Londres : Une jeune femme est retrouvée morte dans les rues de la ville. C’est la septième victime du tueur du mardi. La police ne dispose d’aucun élément sur l’auteur de ces forfaits, si ce n’est qu’il signe « le Vengeur » et qu’il dissimule le bas de son visage derrière une échappe. Alors que la ville est en émoi, un jeune homme s’installe dans une pension de famille. Très vite le comportement de ce locataire se révèle étrange. Pourquoi exige-t-il que l’on retire de sa chambre les portraits de jeunes femmes? Et qu’est-ce qui le pousse à sortir la nuit?… La nuit où un nouveau meurtre vient d’être commis. A ces questions, Mrs Bunting, la logeuse, en ajoute une dernière : Et s'il ce mystérieux locataire était le « Vengeur » ? Mrs Bunting fait part de ses soupçons à son époux, en bon père celui-ci interdit à sa fille Daisy de fréquenter cet homme. Mais le cœur a ses raisons… Surprise en compagnie du locataire par son fiancé, le policier Joe, Daisy promet de ne plus revoir cet homme… Est-ce la jalousie ou les soupçons qui poussent Joe à agir? Toujours est-il qu’il fouille la chambre du locataire. Il y découvre un pistolet, des coupures de presse relatives au « Vengeur » et une carte de Londres sur laquelle sont indiqués les lieux des crimes. La police passe les menottes au locataire. Mais le locataire parvient à s’enfuir et révèle la vérité Daisy : sa sœur était une des victimes du « Vengeur » ; il ne cherche qu’à la venger. Finalement, le véritable coupable étant arrêté, Joe n’a pas d’autre choix que de soustraire le locataire à la furie de la foule et de le livrer à l’amour de Daisy. |
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Des effets spéciaux |
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The Lodger est une adaptation d’un roman de Mrs Belloc-Lowndes qui s’inspire de l’histoire de Jack L’Eventreur. Lorsque Hitchcock se lance dans sa réalisation, il n’a réellement à son actif que deux films (Pleasure Garden et The Mountain Eagle) et tout juste 26 ans. Très impressionné par le travail du cinéaste allemand Murnau, avec lequel il a travaillé en 1924, il réinvestit tout ce qu’il a appris au contact de l’expressionnisme. «Il est cinq heures vingt et le premier plan du film, c'est la tête d'une fille blonde qui hurle. Voici comment je l'ai photographiée. J'ai pris une plaque de verre. J'ai placé la tête de la fille sur le verre, j'ai étalé ses cheveux jusqu'à ce que cela remplisse le cadre, puis je l'ai éclairée en dessous en sorte qu'on soit frappé par sa blondeur.» AH Par la suite tous les meurtres seront éclairés de façon identique et le halo lumineux, qui emprisonne les chevelures blondes, deviendra synonyme de crime. Mais poursuivons le récit. La foule découvre le corps, un reporter téléphone à une agence de presse. La nouvelle de ce nouveau crime parvient au journaliste de permanence. Nous quittons la rue et l’image se défait de sa teinte bleue, couleur qui sera, tout au long du film, associé aux extérieurs. Et ainsi cette couleur se charge de signifiant: dès que l’écran vire au bleu, la menace rôde. L’information prend le chemin des téléscripteurs puis de la radio, des journaux du soir… la foule en est informée : le tueur ne s’attaque qu’aux femmes blondes. Les brunes haussent les épaules… C’est au terme de cette longue introduction (11 minutes), qui a permis au réalisateur de donner à voir comment la peur s’est répandue dans la ville, que surgit du bleu de la nuit le locataire. Et dés son arrivée dans la pension le soupçon s’installe. Ne serait-il pas le tueur? L’échappe qu’il arbore autour du cou ne l’accuse-t-elle pas ? Qu’il souhaite décorer différemment sa chambre et retirer les portraits de femmes qui l'ornent n’en constitue-t-il une autre preuve? Le doute s’est immiscé dans les esprits et il lui suffit de saisir un tisonnier pour que nous tremblions pour Daisy. Certes, il repose gentiment le tisonnier, mais s’il n’avait rien à se reprocher, il ne ferait pas interminablement les cent pas dans sa chambre. Le cinéma «parlant» ne se serait pas embarrassé d’effets spéciaux pour rendre compte du bruit des pas. Il n’aurait eu qu’à nous les faire entendre. Par contre le cinéma muet d’avait pas d’autre choix que de nous montrer ce bruit. La caméra aurait pu se cantonner à filmer le lustre qui oscille mais ceci n’aurait pas suffit à rendre palpable le bruit. Hitchcock fait installer un plancher en verre très épais à travers lequel on voit le locataire. Ce subterfuge lui permet d’associer le mouvement du lustre au va-et-vient du locataire et de faire ainsi résonner ses pas à l’écran. Hitchcock ne souhaitait pas une fin en forme de happy end, il avait imaginé le locataire s’enfonçant dans la nuit sans que soit apporté de réponse à sa culpabilité. Mais il était impossible de faire de Novello, acteur des plus populaires, un meurtrier potentiel, aussi le film se termine sur un plan où les deux amants s’enlacent tendrement… jusqu’à ce qu’un halo de lumière éclaire les cheveux blonds de Daisy. Et de la lumière naît le doute. Le réalisateur dira de ce film «il a été le premier vrai Hitchcock Picture». Premier film de « suspense », « The Lodger » contient effectivement en germe tous les éléments qui feront le « Hitchcock Touch » : blondes et faux coupables, humour et culpabilité, dilatation et contraction du temps, Eros et Thanatos. |
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De l'orgasme |
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Parlant des menottes qui entravent les mains du locataire lorsqu’à la fin du film il reste accroché à une grille alors que la foule veut le lyncher, Hitchcock précise : « Je pense qu'il y a aussi une relation secrète avec le sexe. Quand j'ai visité le musée du Vice, à Paris, en compagnie du préfet de police, j'ai remarqué des constantes d'aberrations sexuelles par la restriction, par la contrainte... » Le sexe porteur de perversions, d’angoisses et de mort, voici un des éléments récurrents du cinéma hitchcockien. Une première scène mérite l’attention du spectateur. Nous découvrons Daisy dans la salle de bain. Elle se déshabille puis ouvre le robinet de la baignoire, la vapeur d’eau dissimule sa nudité. La caméra l’abandonne et nous montre le locataire, dans sa chambre, qui devant un plan de Londres marque les lieux des crimes. Il se lève et se plante devant la fenêtre. Dans la salle de bain, Daisy savonne ses bras et son cou avec vigueur et bonne humeur. Le plan suivant nous montre une main qui s’approche de la porte, qui en tourne la poignée. Mais la porte est verrouillée. Un gros plan sur les pieds de Daisy suit. Elle les agite joyeusement dans l’eau du bain. Le locataire va-t-il enfoncer la porte? Va-t-il assassiner la fragile Daisy? Inconsciente, celle-ci chantonne dans son bain. De l’autre côté de la porte le locataire hésite, fait mine de s’éloigner.. Mais il rebrousse chemin... Frappe à la porte. Daisy quitte son bain et s’enveloppe dans une serviette. Va-t-elle déverrouiller la porte? La scène se termine par le départ du locataire… et aucun meurtre ne sera commis. Trente-cinq ans plus tard, Hitchcock reprendra cette même scène : le bain deviendra douche, le locataire se nommera Norman Bates et la scène se conclura par un meurtre. Le second moment marquant de ce film se déroule dans la chambre du locataire. Celui-ci y a entraîné Daisy. La caméra cadre la figure diaphane de l’homme. Il s’avance, son visage envahit l’écran. Le mouvement se termine par un gros plan sur ses lèvres. Va-t-il "dévorer" la fragile Daisy? Et nous découvrons les deux amants enlacés. L’homme lève les yeux au ciel puis c’est au tour de la femme de fixer le plafond. Enfin les deux amants se séparent et se dirigent vers un canapé, pour se reposer comme après l’orgasme. Et la scène se poursuit, après un intermède dans la cuisine, par un geste violent de la part du locataire En 1972, ce ne sera plus un simple baisé qu’Hitchcock filmera comme un orgasme, mais un crime et le corps finira au milieu des patates… |