Serguei Eisenstein - La Ligne générale - L'Ancien et le Nouveau - sur le site RayonPolar


La Ligne générale



La Ligne Générale - L'Ancien Et Le Nouveau

1929
Serguei Eisenstein

Marfa Lapkina : Marfa || M. Ivanine : le fils de Marfa || Konstantin Vasilïev : Le conducteur du tracteur || Vasili Buzenkov : le secrétaire de la coopérative laitière || Mikhaïl Gomorov
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La Ligne générale
Synopsis

Dans les campagnes soviétiques, la misère, héritage de l’ancien régime, persiste sous toutes ses formes : morcellement des terres, outils rudimentaires, croyances religieuses…
Pendant ce temps, les koulaks exhibent leur morgue…
Alors que la saison des labours arrive, Marfa Lapkina ne peut qu’atteler sa vache famélique qui meurt à la tâche.
« Cette vie ne peut plus durer, hurle Marfa. Nous devons nous unir »
Et elle prend la tête d’un kolkhoze, d’abord réduit au minimum puis au fil des succès de plus en plus puissant malgré l’hostilité criminelle des koulaks…
Et la marche en avant du socialisme s’accentue. Car le socialisme ce n’est pas que les soviets plus l’électricité, c’est aussi les kolkhozes plus le tracteur

Quelques mots sur
La Ligne générale

Eisenstein entreprend la réalisation de ce film en 1926, au lendemain du XIV congrès du PCUS, où les positions de Boukharine (1) semblaient l’avoir emporté, positions qui prônaient la poursuite de la NEP et se traduisaient par un soutien aux koulaks.
Mais le travail sur « La Ligne Générale » fut interrompu par la réalisation d’« Octobre » et il ne reprit qu’en 1928. Malheureusement, tout ce qu’avait pensé Eisenstein se révélait politiquement erroné. L’opposition de gauche éliminée, Staline tournait ses coups vers le bloc de droite. La ligne générale, impulsée par Boukharine, était sur le point d’être décrétée contre-révolutionnaire. Staline préparait le grand tournant qui prônerait « la liquidation des koulaks en tant que classe » et l’industrialisation du pays.
Voilà dressé, trop brièvement, le contexte politique dans lequel s’inscrit la réalisation de ce film au double titre.
Et l’antagonisme antidialectique du titre, qu’impose Staline, contient en germe l’élimination physique de Nikolaï Boukharine et Alexeï Rykov (2).
L’ancien c’est le koulak, l’individualisme, la parcellisation des terres, les superstitions, la charrue à bras, l’opposition entre la ville et la campagne… le nouveau c’est la collectivisation des terres et l’industrialisation de l’agriculture… « L’effacement des frontières entre la ville et la campagne ».
Eisenstein se plie aux exigences du pouvoir et illustre magnifiquement cette opposition manichéenne. Il filme des visages résignés, humiliés, souffrants, grimaçants… des visages débordant de fougue, de combativité, de ténacité… des visages rongés par la superstition, l’oisiveté, la raillerie… il les filme et les dresse les uns faces aux autres dans une marche en avant qui renverse les croyances anciennes sous les coups de boutoir de la mécanisation. A la misère de la paysannerie vivant dans des taudis et réduite à l’état d’animal, il oppose de riches propriétaires égoïstes et aussi fainéants que gras.
En terme politique, la nuance n’est pas de mise : la marche triomphante vers le socialisme à la campagne, qui passe par la mécanisation, la destruction des koulaks et des bureaucrates urbains, est aussi un cheminement vers la lumière, comme ces lendemains radieux qui chanteront.
Mais si en termes politiques la nuance n’est pas de mise, elle le reste d’un point de vu formelle. Staline n’a pas encore une totale main mise sur la production cinématographique et Choumiatsky (3) n’a pas encore décrété la guerre à l’avant-garde esthétique.
Et cet état d’entre deux moments historiques permet encore au cinéaste de s’aventurer sur des territoires qui lui seront, à partir des années 30, interdits.
Car que nous dit le film, au-delà de l’ode au grand tournant qui se profile ?
Que la construction du socialisme ne libérera pas seulement le prolétariat de ses chaines, qu’elle n’abolira pas uniquement l’opposition entre la ville et la campagne, qu’elle n’assurera pas exclusivement le bien-être matériel, que la maxime « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » (4) ne constitue pas l’horizon infranchissable du socialisme. Ce que nous dit ce film au sujet de la construction du socialisme c’est qu’il est un moment de jouissance physique, un moment d’extase sexuelle.
Sous le socialisme ce ne seront pas que les femmes des riches Koulaks qui pourront exhiber leurs formes généreuses (Image 1)
Sous le socialisme, la mécanisation assurera l’éjaculation vitale des écrémeuses (Image 2) et cette semence essentielle à la vie sera disponible pour chacun (Image 5).
La virilité ne sera plus immatérielle, immanente ou rêvée (Image 3), elle ne sera plus une idée, elle deviendra réalité. Elle assurera le bonheur, car la fertilité (Image 4).
La vie sera érotisée (Images 6-7-8)… Car le socialisme sera le triomphe d’Éros alors que le capitalisme n’était que le règne de Thanatos.


1- Membre du Bureau politique (1919-1929) et du Comité central du Parti bolchevik (1917-1937) ; chef de l’Internationale communiste (1926-1928) ; rédacteur en chef de la Pravda (1918-1929), de la revue Bolchevik (1924-1929) et des Izvestia (1934-1936). Il est le plus jeune des héritiers cités – et récusés–- par Lénine dans son « testament » de 1922. Il choisit de soutenir Staline après la mort de Lénine. Il échoue dans ses tentatives de résistance quand il prend conscience des orientations réelles de la politique de Staline. Malgré son respect formel des règles de la discipline du Parti, il est une des victimes de la Grande Purge de la fin des années 1930 et il est contraint d’avouer ses « crimes » dans une spectaculaire mise en scène judiciaire avant d’être exécuté. (Wikipédia)

2- De 1924 à 1929, il fut chef nominal du gouvernement soviétique en tant que président du Conseil des commissaires du peuple. Arrêté en février 1937, il fut accusé en 1938 d'avoir comploté avec Trotsky contre Staline. Il fut déclaré coupable par le conseil militaire du tribunal suprême d'URSS puis exécuté le 15 mars 1938.

3- Boris Choumiatski est un homme politique soviétique, né 4 novembre 1886 et mort le 29 juillet 1938. Ministre du cinéma dans les années 1930, il entreprit l'application de nouvelles doctrines en termes d'art, mais il sera ensuite exécuté pendant les procès de Moscou, suite à plusieurs échecs dont celui de la production du « Pré de Béjine », preuve qu’il était un espion anglais.

4- « Critique du programme de Gotha » Karl Marx

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