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Alexandre Antonov : le militant ouvrier || Gregori Alexandrov : le contremaître || Maxime Chtraukh : l'indicateur || Ivan Kliouvkine : l'activiste || Mikhail Gomorov : l'ouvrier qui se pend || Boris Yourtzyev : le roi de la pègre |
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La Grève |
Retour à Serguei Eisenstein |
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La Grève |
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Films en six parties • À l'usine tout est calme • Le déclenchement de la grève • L'usine ne tourne plus • La grève se prolonge • La provocation • La grève est brisée 1912, dans la Russie tsariste, les conditions de vie sont inhumaines… Un ouvrier d’une importante usine est accusé à tord, par les contremaîtres, d'avoir volé un micromètre. Il se suicide. La grève est déclenchée et le dénonciateur est puni… Du côté de la direction, remis de la surprise, chacun prépare la riposte. On affame les grévistes, on torture les leaders… on met en scène une vaste provocation… Et la police peut ainsi investir le quartier ouvrier pour un massacre général. La grève se termine, noyée dans le sang des hommes, des femmes et des enfants… Mais le souvenir en restera inscrit dans la conscience collective des combattants |
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Quelques mots sur |
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Eisenstein avait pour intention de réaliser un cycle de films intitulé vers la dictature du prolétariat. Seul un volet de ce projet ambitieux, qu’il avait proposé au ProletKult (1), vit le jour sous le titre de « La grève ». Rompant radicalement avec le cinéma bourgeois, qui poserait au centre de l’intrigue l’individu et ses problèmes psychologiques induisant ainsi une mise en scène bâtie autour de personnages interprétés par des acteurs, Einsenstein inaugure un cinéma sans comédiens, où le héros est le peuple et les classes qui le structurent. D’un côté, la bourgeoisie et ses « chiens de garde » : police, pompiers, armés, mais aussi contremaitres, mouchards et lumpenprolétariat. Et chacun est visuellement reconnaissable, car personne ne doit être renvoyé dos à dos. Les capitalistes sont gras ou cadavériques, fumeurs de cigares et buveur de champagne, cyniques et obscènes. La police est tsariste, les pompiers et l’armée quasi sans visage. Les contremaitres et mouchards sont fourbes et fuyants, le visage dégoulinant de la sueur de la lâcheté, les traits animaux pour les derniers viennent parachever le tableau. Quant aux agents provocateurs, recrutés dans le lumpenprolétariat, cette sous-couche arriérée du prolétariat, ils vivent sous terre et ne paraissent correspondre à aucun des genres masculin ou féminin ; seule la vodka semble guider leurs pas. Face aux tenants du vieux monde, s’ébauche la silhouette de la classe porteuse d’avenir : les ouvriers et autour d’eux le prolétariat dans son ensemble. Et c’est la lutte entre ces deux classes que met en scène Eisenstein autour d’une grève. Le spectateur d’aujourd’hui pourrait ne retenir de ce film que l’aspect caricature de la bourgeoisie (2) et en déduire qu’il s’agit d’évidence d’un film de propagande. Mais ce serait oublier que l’action se déroule en 1912 et qu’en ce temps-là, la grève n’était pas une partie de campagne, que quelques années plus tôt la répression de la commune de Paris s’était soldée, au cours « Semaine sanglante », du 21 au 28 mai, par quelque 20000 exécutions d’insurgés. Alors, s’agit-il d’un film de propagande ou d’un film engagé ? La réponse appartient à chacun, et finalement ne renvoie qu’à ses sympathies de classe. En 1924, l’URSS qui n’est pas encore sous la férule de Staline et le modèle esthétique du réalisme socialiste (3) ne gangrène pas encore la création. C’est donc en toute liberté (4) qu’Eisenstein réalise ce film, faisant preuve d’une inventivité et d’une technicité saisissante. Fondus, surimpressions, montage parallèle, caméra mobile, cadrages improbables, jeux de miroirs, impressionnants mouvements de foule… se succèdent au rythme d’un montage fait de cuts violents, rapides et symboliques. Les images s’entrechoquent, s’accolent souvent à distance, les inserts parfois sans rapport narratif percutent le discours et lui donnent sens : l’armée envahit les coursives ; un enfant joue ; une main le suspend au-dessus du vide ; son corps git sur le pavé de la cour intérieure. « Il s’agit de réaliser une série d’images composées de telle sorte qu’elles provoquent un mouvement affectif, qui éveille à son tour une série d’idées. Le mouvement va de l’image aux sentiments, du sentiment à thèse » Et cette volonté de percuter le spectateur au travers le montage, Eisenstein la baptise « montage des attractions » Bien plus que les minutes où Eisenstein monte en parallèle le massacre des ouvriers et la mise à mort d’animaux dans un abattoir, la partie intitulée « Le déclenchement de la grève » illustre, peut-être, au mieux cette volonté du cinéaste d’arracher l’adhésion du public. La grève, résulte d’une accumulation de frustrations, dues à la surexploitation, et exacerbées par le flicage des contremaitres La grève, c’est un élément déclencheur, le suicide d’un ouvrier accusé à tort d’un vol, c’est un homme dont l’honneur est sali ; la grève, c’est les pieds d’un pendu (image 1) La grève c’est d’abord des cris qui traversent les ateliers… puis le signal, l’appel à tous… peut-être « L’appel du komintern » (Image 2) La grève, c’est des ouvriers qui se rassemblent, qui jettent à terre leurs outils… c’est la masse qui s’ébranle ; c’est les femmes et les enfants qui se joignent les maris (Image 3). La grève, c’est les contremaitres qui se précipitent au téléphone pour aviser les patrons (Image 4); c’est la nouvelle qui court le long des lignes téléphoniques sautant d’une oreille à l’autre (Image 5) La grève, c’est des hommes fiers qui croisent les bras… la grève, c’est des machines qui s’arrêtent (Image 6). La grève, c’est des petits matins en famille, à jouer avec les enfants (Image 7). La grève… c’est la répression (Image 8) La grève c’est la construction d’une conscience de classe 1- Cette organisation artistique et littéraire active jusqu’à la fin des années 20, se fixait comme mission la construction d'un véritable art prolétarien. Elle se plaçait aux côtés du Parti, défenseur des intérêts politiques du prolétariat, et des syndicats, défenseur de ses intérêts économiques. 2- Ces caricatures rappellent celles de Daumier 3- 23 avril 1932, toutes les organisations prolétariennes en littérature sont dissoutes. Un organe unique, contrôlé par le Parti, est créé : l'Union des écrivains. La littérature, comme toutes les autres activités, doit être soumise aux impératifs du Parti. La définition du réalisme socialiste, adoptée dans les statuts de l'Union des écrivains, est la suivante : « Le réalisme socialiste, étant la méthode fondamentale de la littérature et de la critique littéraire soviétique, exige de l'artiste une représentation véridique, historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire. D'autre part, la véracité et le caractère historiquement concret de la représentation artistique du réel doivent se combiner à la tâche de la transformation et de l'éducation idéologiques des travailleurs dans l'esprit du socialisme. ». 4- La liberté de création trouve sa source dans les contradictions qui traversent les différents organismes qui tentent de « contrôler » la production cinématographique. Contradictions, qui elles-mêmes se nourrissent dans les prises de position de Lénine et de Trotski en matière d’art. Dans un article de 1905, intitulé « Sur l'organisation du Parti et la littérature du Parti », Lénine affirmait l'indépendance de l'art par rapport à l'idéologie. « Notre politique en art, pendant la période de transition, peut et doit être d'aider les différents groupes et écoles artistiques venus de la révolution à saisir correctement le sens historique de l'époque, et, après les avoir placés devant le critère catégorique : pour ou contre la révolution, de leur accorder une liberté totale d'autodétermination dans le domaine de l'art. » (L.Trotsky – Littérature et Révolution, Introduction 1924) |
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