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Michel Serrault, Léon Labbé, le chapelier || Charles Aznavour, Kachoudas, le tailleur || Monique Chaumette, Mme Labbé, le fantôme || François Cluzet, Jeantet, le journaliste || Aurore Clément, Berthe, la prostituée || Isabelle Sadoyan, Alice Kachoudas, la femme du tailleur || Jean Champion, le sénateur Laude || Bernard Dumaine, Arnoult || Victor Garrivier, le docteur Chaudreau || Mario David, le commissaire Pigeac || Robert Party, l'inspecteur Caille || Fabrice Ploquin, Valentin || Christine Paolini, Louise Chapus || Nathalie Mayat, Esther || Marcel Guy, Gabriel || Jean-Claude Bouillaud, le père de Louise || Jean Leuvrais, Lambert |
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Les Fantômes du chapelier |
Retour à Claude Chabrol |
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Les Fantômes du chapelier |
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Léon Labbé, un bourgeois de Concarneau, tient une boutique de chapeaux en face d'un tailleur d'origine arménienne, Kachoudas. Ce dernier suit le chapelier dans ses pérégrinations. Il finit par se rendre compte qu'il est l'étrangleur de vieilles femmes qui sévit dans la région depuis deux mois. Kachoudas renonce à le dénoncer et tombe malade. Labbé finit par lui avouer la raison de ses crimes : il a assassiné sa femme et, pour cacher son crime, il lui faut éliminer toutes les amies de son épouse, car celles-ci entendaient lui rendre visite pour son prochain anniversaire. Alors que Labbé est sur le point de tuer sa dernière victime, il apprend que celle-ci, malade, est décédée quinze jours auparavant. Dans le même temps, Kachoudas meurt. Mais Labbé est toujours agité par des pulsions de mort. Il étrangle sa bonne, puis une prostituée de ses connaissances, aux côtés de laquelle, ivre, il s'endort... Au matin, il est découvert et se fait arrêter. Wikipédia |
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Quelques mots sur |
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Claude Chabrol revient au polar avec cette adaptation du roman de Simenon, « Les Fantômes du chapelier » (1). Mais pour autant, il se dégage immédiatement du cinéma de genre tant d’un point de vue esthétique que narratif (2). La ville, cadre quasi naturel du genre, n’est qu’une petite bourgade de province où tout le monde se fréquente au café des Colonnes ; la police est réduite à son expression la plus falote en la personne du commissaire Pigeac que les parties de billard accaparent plus que les enquêtes. Quant à l’intrigue policière, elle est vidée de tout mystère au terme d’une vingtaine de minutes : le spectateur apprend que Léon Labbé a assassiné sa femme et qu’il assassine une à une ses amies de collège. Certes, les mobiles de ces crimes demeurent obscurs durant une heure, mais d’une part le spectateur est en possession d’assez d’éléments pour les déduire et d’autre part son attention est accaparée par les étranges rapports qu’entretiennent Léon Labbé, le chapelier, et Kachoudas, le tailleur. Une remarque s’impose avant de tenter de caractériser cette relation. Le chapelier a un prénom et on l’appelle Monsieur, le tailleur est dénué de toute autre identité que Kachoudas. Quelle est donc la nature des relations de ces hommes et pourquoi se comportent-ils ainsi ? Nous pouvons émettre une hypothèse : la réponse serait-elle entièrement contenue dans la remarque préliminaire ? L’un mépriserait-il l’autre au point qu’il n’imaginerait pas qu’il puisse représenter un danger ? L’autre serait-il en quête d’intégration au point qu’il garderait le silence par crainte de déplaire ? De multiples scènes et dialogues viendront confirmer cette hypothèse. Et en premier lieu la scène du café. Quelques minutes après le début du film, Léon Labbé se rend au café des Colonnes. Dans son sillage, il entraine, comme tous les jours, Kachoudas. Lorsque Labbé pousse la porte du café, un serveur vient lui ôter son manteau. Lorsque Kachoudas entre à son tour personne ne l’accueille. Mais il est vrai qu’il n’a pas de manteau… Labbé s’installe à une table, Kachoudas prend place à une autre table qui lui fait face. Mais il existe une trouée dans le groupe des joueurs de cartes qui n’intègre visuellement que Labbé à ces joueurs (Image1). Et la caméra souligne ce fait en excluant Kachoudas du cadre (Image 2). Lorsque le tailleur entre de nouveau dans le cadre, il n’est pas pour autant devenu un membre du groupe. Les joueurs de cartes l’ignorent totalement (Image 3). Quelques instants plus tard, Kachoudas découvre dans le revers du pantalon de Labbé une preuve qui établit la culpabilité de Labbé (Image 4). Labbé lui prend calmement le morceau de journal découpé (3) et se contente de lui décrocher un sourire moqueur (Image 5). Au terme d’un mouvement circulaire, qui partant de Labbé, passe par le groupe de joueurs de cartes et s’arrête sur un Kachoudas marginal et paradoxalement craintif, comme peut l’être le coupable d’une faute (Image 6). Lorsque Labbé se sépare de ses amis, alors qu’il sait que Kachoudas l’a démasqué (4), qu’il devrait nourrir une certaine inquiétude, il invite ironiquement Kachoudas à le suivre (Image 7). L’ironie sombre dans la pitrerie provocatrice lorsque Labbé et Kachoudas ont poussé la porte du café (Image 8). Kachoudas est un immigré arménien, né à Erevan, qui a traversé l’Europe avant de s’installer à Concarneau. « Je suis bien ici… Je veux juste rester avec ma famille » explique-t-il à Labbé et il ne redoute qu’une seule chose : que sa découverte le condamne à un nouvel exil. Envisagés dans cette optique, les rapports des deux hommes n’ont rien d’étrange, ils sont de même nature que ceux qui lient des milliers de migrants, en quête d’intégration, aux autochtones. Mais « Les fantômes du chapelier » ne s’intéresse pas uniquement aux rapports de classe (5), il se penche aussi sur le lent glissement vers la folie d’un notable parfaitement respectable. Pour Labbé le calvaire a commencé il y a dix ans, lorsque sa femme est devenue infirme et a refusé de quitter sa chambre. Inexorablement, les crises de nerfs, de jalousie, d’aigreur l’ont conduit au meurtre, acte suprême de délivrance. Deux mois plus tôt, il a étranglé sa femme, sans haine ni violence, juste pour la faire taire (6). A partir de cet instant, il devait tuer les sept amies de sa femme, qui, comme tous les ans, devaient venir lui souhaiter son anniversaire. Jusque-là tout va bien, les crimes de Monsieur Labbé s’inscrivent dans une logique de dissimulation et sont dénués de plaisir malsain (comme il affirme). Mais le décès de celle qui devait être sa dernière victime qui se conjugue avec la mort annoncée de Kachoudas, le renvoie à sa solitude. Et c’est face à la menace de ce vide abyssal qu’il perd la raison. Alors qu’« il n’y a plus de raison » (7), il tue… pour le plaisir, pour se sentir vivant. C’est du moins ce que semble indiquer le dénouement. D’un bar quelconque (Le Tonkinois) il téléphone à Berthe, la prostituée de luxe que fréquentent tous les notables. Alors qu’elle refuse de le recevoir, il « force » sa porte. Que vient-il chercher auprès de Berthe, si ce n’est le plaisir ? Que fait-il de Berthe, si ce n’est de l’étrangler ? 1- Simenon avait écrit en 1947 une nouvelle intitulée « Le Petit Tailleur et le chapelier ». Il reprit le thème l'année suivante, en modifiant la fin, sous le titre « Bénis soient les humbles » dont la traduction anglaise lui valut un prix du mensuel « Ellery Queen's Mystery Magazine ». Le roman qu'il publia en 1949 sous le titre « Les Fantômes du chapelier » offre un troisième dénouement, celui qu'a respecté Chabrol. 2- Ce qui ne lui interdit pas les hommages à Hitchcock : « Fenêtre sur Cour », « Psychose ». Et peut-être les scènes de pluie 3- Labbé informe la presse de ses crimes par lettres anonymes dont le texte est composé de lettres découpées dans les journaux. 4- Il semble même que Kachoudas ait assisté à l’un des crimes 5- Il est d’ailleurs à noter que Labbé et Kachoudas partagent une place sociale identique : ils sont tous les deux boutiquiers. Pourtant, seul Labbé est un notable. Normal, Kachoudas est un immigré. 6- Claude Chabrol nous présente le meurtre dans un long flashback, qui fait suite à des flashbacks fugaces, où se mélangent les temps : le passé devenant un prolongement du présent. Autant d’indices qui, par leur forme et leur durée, annoncent le naufrage de Labbé 7- Tels sont les mots que prononce Labbé au chevet de Kachoudas. |
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