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Jean-Claude Claeys

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Par l a

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Le samedi 2 Janvier 2010

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« La conscience a précisément éprouvé l'angoisse non au sujet de telle ou telle chose, non durant tel ou tel instant, mais elle a éprouvé l'angoisse au sujet de l'intégralité de son essence, car elle a ressenti la peur de la mort, le maître absolu. » Hegel (0)

De la place du mort.

Dans un article paru dans le numéro 25 des « Cahiers de la cinémathèque » (1978), consacré au « film policier reflet de la société », Michel Lebrun étudiait « la place du mort dans le récit policier ».
Il considérait deux possibilités : soit le crime était unique, soit il était multiple.
Dans le premier cas, il dressait la liste suivante des éventualités :
- Crime commis avant le début du film, comme « Rebecca » d’Alfred Hitchcock
- Crime commis au début du film, comme dans la série « Les cinq dernières minutes » ou « La corde » d’Alfred Hitchcock.
- Crime commis au milieu du film, comme « Quai des Orfèvres » d’Henri-Georges Clouzot
- Crime commis à la fin du film, comme « Scoop » de Woody Allen
- Crime commis après la fin du film, « Soupçons » d’Alfred Hitchcock peut être envisagé sous cet angle
- Pas de crime, comme « Les diaboliques » d’Henri-Georges Clouzot.
En ce qui concerne la seconde configuration, il distinguait :
- Un crime en entraîne d’autres, il s’agit souvent d’éliminer des témoins, comme dans « Crime de l’Orient Express » de Sidney Lumet
- Tous les crimes répondent au même mobile, comme dans les « Dix petits nègres » de René Clair,
- Les crimes constituent des actes de défense, comme « Bonnie et Clyde » d’Arthur Penn
On pourrait rajouter, dans cette dernière catégorie, les crimes des Serials Killers.


De la résurrection

La série TV « Cold Case », qui met en scène Lilly Rush, inspecteur à la brigade criminelle de Philadelphie, d’un point de vue formel, se coule facilement dans cette classification : le crime est commis avant le début du film. Pour l’exemple, lors de la saison cinq, qui se déroule en 2008, la brigade enquête, tour à tour, sur des crimes qui ont été commis en 1945, pour le plus ancien et 2007 pour le plus récent.(1).
Par contre, sous l’angle visuel, cette série brouille les repères. Le pré-générique nous présente la victime quelques heures avant sa mort, et se conclut par l’image de son cadavre. Débute ensuite la nouvelle enquête, celle de Lilly Rush, qui va permettre de démasquer le coupable. Entre ces deux moments éloignés dans le temps, une scène rituelle sert de liaison : Lilly Rush extrait des archives de la police un carton contenant tous les éléments de la première enquête, celle qui a suivi le crime, celle qui n’a pas abouti.
Se succèdent par la suite, des interrogatoires en forme de flashback… d’où resurgit le passé dans toute sa réalité, musicale, vestimentaire, morale et politique.
Le présent et le passé se confondent. Les protagonistes retrouvent leur jeunesse et sont capables de répondre à des questions surprenantes, comme : « Que faisiez-vous le dimanche 22 mai 1945 à 10 heures trente ? ».
Le crime qui a eu lieu avant le début de l’épisode est visuellement commis à la fin de celui-ci, non pas dans un simple flashback, mais bien dans un véritable présent cinématographique.
Et l’épisode se clôture sur une double scène rituelle : Lilly Rush range le carton d’archive et croise la victime qui lui sourit avant de disparaître définitivement.
Alors que le meurtrier n’a pas pu être démasqué à l’époque du meurtre, Lilly Rush parvint à le confondre au terme de quelques interrogatoires aussi improbables que simplistes. Comment cela est-il possible ?
Cette question ne supporte qu’une seule réponse : l’enquête n’est qu’un prétexte pour ramener dans le monde des vivants un être mort depuis longtemps et entraîner ses proches dans la confusion des temps.


De la littérature.

Sous la simple étude « La place du mort dans le récit policier » se cache un fait de la plus haute importance qu’il convient d’isoler afin de cerner l’objet du polar.
Qu’elle qu’en soit la place et la figure, simple ou multiple, force est de constater que la mort est au centre du récit policier. Dans ces conditions, ne peut-on pas affirmer que la mort est l’objet du roman policier ?
La mort objet de toutes religions, parce qu’horizon indépassable de l’avenir de chacun et que chacun se doit de vivre et donc de la travestir, serait l’objet même du polar. Et voilà ce genre de récit hissé au rang des religions.
L’affaire n’est pas banale, surtout si on l’éclaire des lumières de « Cold Case » où la mort se conjugue sur le mode de la résurrection.
« Ne chantez pas la Mort, c'est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu'il est dit » (2)
Là où la religion ne la chante pas, puisqu’elle la réduit à un simple passage, le polar la chante à longueur de page sans faux semblants. Et ce « sujet tabou » qui « jette un froid » accompagne le lecteur jusqu’au cœur de la nuit ; là où la religion promet le paradis, le polar appelle le médecin légiste; là où la religion promet la vie éternelle, Lilly Rush ressuscite le souvenir d’un disparu; là où la religion promet l’enfer, le polar propose le divertissement.
Si la mort est la peur constituante du genre humain, si la mort est le thème qui parcourt l’histoire de l’art, si l’art est un moyen de conjurer, au quotidien, la mort, alors le polar acquiert une place privilégiée au royaume de la littérature. Le polar, récit de divertissement, en faisant de la mort son objet, transforme celle-ci en objet du divertissement. Cette transformation, intrinsèque au genre, fait de lui une réponse à l'angoisse qu’éprouve la conscience, « non au sujet de telle ou telle chose, non durant tel ou tel instant » face à ce néant. Et c’est en ce sens que le polar, qu’indépendamment des qualités de tel ou tel texte, de tel ou tel film, perd son statut de littérature de genre pour s’installer au centre de la Littérature.



0 - Phénoménologie de l’esprit tome I p. 164
1 -
Thrill Kill : le crime a été commis en 1994
That Woman : le crime a été commis en 1998
Running Around : le crime a été commis en 2006
Devil Music : le crime a été commis en 1953
Thick As Thieves : le crime a été commis en 1989
Wunderkind : le crime a été commis en 2002
World's End : le crime a été commis en 1938
It Takes a Village : les crimes ont été commis entre 1999 et 2003
Boy Crazy : le crime a été commis en 1963
Justice : le crime a été commis en 1982
Family 8108 : le crime a été commis en 1945
Sabotage : les crimes ont été commis en 1999, 2001 et 2003
Spiders : le crime a été commis en 1998
Andy in C Minor : le crime a été commis en 2006
The Road : le crime a été commis en 2007
Bad Reputation : le crime a été commis en 1997
Slipping : le crime a été commis en 1962
Ghost of My Child : le crime a été commis en 2005

2 - « Ne chantez pas la Mort » Léo Ferré - Texte de Jean-Roger Caussimon.



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