Présents au salon de Paris, ils ont joué leur petite partition dans le concert énorme du mastodonte. La foule passait devant leur table, ils souriaient, heureux de l’aventure. Des quidams se sont arrêtés, et pas mécontents, la plupart est repartie avec quelques livres sous le bras, et le sourire aux lèvres. Quelques professionnels intrigués sont passés, découvrant alors que cette joyeuse bande d’hurluberlus était fichtrement professionnelle.
A Lens, dans le cénacle de la 10ème édition du salon du livre policier, Krakoen était là de nouveau. (prononcez Kraken, s’il vous plait). La table était plus grande, beaucoup plus grande qu’à Paris. Et le petit air se renforçait de deux nouveautés. Les nouveaux titres pleuvent au catalogue. Les passants à nouveau s’attardèrent, et les professionnels vinrent cette fois sérieusement aux renseignements.
Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Qu’est-ce que ça veut dire « coopérative d’édition ?? » Et pourquoi ça a l’air de marcher ?? Les officiels y ont vu une volonté politique, les auteurs voisins, curieux eux aussi, une volonté d’indépendance, et les lecteurs … que du feu, car les produits finis sont nickels.
Constat : le monde de l’édition aujourd’hui fonctionne en vase très clos. De temps à autre, au compte-gouttes, une maison prend le risque d’un nouvel auteur. De préférence, formaté pour plaire au plus grand nombre. Logique marchande, rien à dire. N’oublions pas que nous vivons dans une société libérale. Plume affûtée ou vieux crayon mou … peu importe. Le livre est un objet de commerce. Cqfd : l’auteur inconnu qui arrive à convaincre un comité de lecture est de plus en plus rare, et ce n’est pas forcément son talent qui est en cause. S’il arrive, après un parcours du combattant d’exception, à se retrouver sur les étals des libraires, c’est qu’en plus du talent il a une chance de pendu. Qui ne lui servira pas tant que ça s’il ne fait des ventes, du chiffre, des sous quoi … Mais comme l’éditeur ne se sera attaché pendant ce temps qu’à faire la promo de sa locomotive médiatique (un gars en chemise ouverte ou une p.. de la République), inondant radios, télés, magazines, l’autre, là, le petit, le nouveau … quittera la librairie au bout de quatre mois de poussière.
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Voilà donc pourquoi la coopérative d’édition Krakoen est née en 2004. Max Obione, son fondateur, président de l’association qui en est l’ossature, l’a voulu ainsi : indépendante, professionnelle, ouverte. Fruit d’une passion commune pour les histoires, les atmosphères, le style.
Au départ aventure singulière, elle s’est très vite faite multiple. Définir Krakoen, c’est le dire en creux. Maquette, couverture, impression, et même ligne graphique : on est loin du tirage photocopié bidouillé. Krakoen n’a rien d’une autoédition solitaire et bricolée. Tout au contraire chaque volume est le fruit du travail d’une équipe. Chaque nouvel auteur doit avoir convaincu le comité de lecture, composé des autres auteurs. Relecture, interrogations, corrections : une dynamique construite et chaleureuse. On est loin aussi du refus formaté, dont la grossièreté tient à l’indifférence …
Compte-tenu de la structure de coopérative éditoriale qu’elle s’est donnée, si chacun contribue financièrement aux frais de tirage au prix coûtant, Krakoen n’est pas non plus de l’édition à compte d’auteur ni en compte à demi, car la structure professionnelle bénévole et gratuite qu’elle s’est donnée permet tout le contraire d’un banal travail d’impression.
Max Obione a été interrogé : il dit sa passion pour le style, l’écriture. « Je n’aime rien plus que découvrir un auteur, son style, son univers, sa petite musique personnelle. Le polar atypique ou loufoque, le premier roman qu’on accouche après moult réécritures, a sa place chez Krakoen. Aujourd’hui que se développe la réputation de Krakoen, viennent à nous de plus en plus d’auteurs déçus par le système classique. Mais nous avons fait le choix de limiter la taille de la fabrique : nous nous limitons volontairement à une vingtaine d’auteurs maximum en comptant les arrivées et les départs pour conserver la maîtrise qu’à l’heure actuelle chacun d’entre nous souhaite conserver sur son œuvre. Il faut gérer le catalogue, faciliter l’édition des manuscrits des auteurs coopérateurs, promouvoir la vente, etc… au-delà de cet effectif, notre fonctionnement autogestionnaire n’est plus possible sans s’inventer des chefs, des sous-chefs et tout le bataclan. Et des frais généraux non négligeables. Je fais le pari, avec mes amis coopérateurs, d’une constante amélioration de nos productions. Certes la correction est encore notre point faible, mais la première réimpression est absolument nickel. L’édition Krakoen zéro défaut est notre objectif et je vous promets mon billet qu’on y arrivera. Aujourd’hui, je renvoie les auteurs intéressés que nous ne pouvons pas accueillir vers le conseil suivant : unissez-vous sur le modèle Krakoen. Nous vous aiderons de notre expérience.
Nous construisons petit à petit notre réseau. Nous avons un distributeur professionnel, et nous assurons par nous même une diffusion « en taches de léopard » à partir des grandes métropoles régionales où se trouve le lectorat. Krakoen est basé à Rouen. Mais chacun des membres de la coopérative, dans sa région, propose et défend aussi bien ses productions que celles des autres coopérateurs, aussi bien dans les réseaux classiques des libraires qu’à chaque occasion publique : salon ou expos …Enfin, notre professionnalisme a été reconnu par l’admission dans les bases de données classiques des métiers du livre, permettant une vraie commercialisation.
L’accueil qui est fait à nos ouvrages est de plus en plus encourageant. Notre visibilité dans le microcosme polardeux s’améliore. Notre site Internet que beaucoup de visiteurs apprécient contribue à cette image professionnelle. Nos livres commencent à exister dans le paysage et à être lus. Voilà bien l’essentiel. La presse spécialisée (sur le Net principalement) commence à se faire l’écho de notre spécificité. Des auteurs se sont vus récompensés par l’intérêt de professionnels, ainsi Nicole Collette et ses « Anglais si tranquilles », coup de cœur de la FNAC de Caen, que la presse a apprécié dans l’ensemble.
Bien sûr, il y aura inévitablement des méfiances et des jalousies, sans compter un certain mépris pour des fondus qui réussissent des choses en dehors de l’establishment où tant de monde se plaint. C’est la rançon. Mais l’aventure littéraire se double d’une aventure humaine qui fonctionne à l’enthousiasme, à l’amitié et… au Picon bière. La magnifique chaleur de chacune de nos rencontres viendra à bout des obstacles potentiels. Tournée générale pour tout le monde ! »
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Pour en savoir davantage, il fallait l’avis d’un auteur passé par la « coopérative éditoriale ». Franck Membribe a accepté de répondre.
Claudette Porpiglia pour Rayon du polar : Mais pourquoi aller chez Krakoen, quand on est déjà édité ailleurs ? C’est quand même étonnant, non ?
Franck Membribe : Timgad, mon deuxième roman, devait paraître avec un contrat classique en septembre 2005 chez mon précédent éditeur (Parpaillon – L’Autre Rive). La situation critique de ce dernier a fait avorter mon projet au dernier moment, alors que la sortie en était déjà annoncée, de nombreux exemplaires pré-vendus, des libraires intéressés... Au lieu de jeter l'éponge, je l'ai proposé à Max Obione qui venait de me contacter sur le forum de Pol’Art Noir pour participer au recueil collectif de nouvelles Graines de noir. Mon texte a été lu et accepté. Nous avons travaillé d'arrache-pied pour mettre au point les corrections finales et une nouvelle maquette plus attractive. Toute l'équipe de Krakoen a fait preuve dans l'urgence d'un grand professionnalisme. Le résultat est largement supérieur à la version initiale. Je me suis aperçu que loin des clichés véhiculés par les détracteurs de l'autoédition, Krakoen fonctionne comme une véritable maison d'édition, avec une cohérence éditoriale, un distributeur, un regard critique sur les textes et des propositions d’améliorations souvent pertinentes, dans un esprit solidaire, désintéressé, pour le seul profit des membres de la coopérative. La rigueur et la qualité sont un souci permanent ainsi que la meilleure diffusion possible. Mon précédent éditeur ne tenait pas ses promesses (de commercialisation, de signatures, de participations à des salons…), ni ses délais. Il ne m’a jamais fourni le moindre état des ventes ou des stocks ni payé mes droits d’auteur (5 malheureux pour cent). Nous continuons à « dialoguer » par lettres recommandées…
Avec Max (Obione, ndr) tout est différent. C’est un passionné qui offre son temps sans compter pour que les projets aboutissent dans les meilleures conditions possibles. Il est auteur lui aussi, on se retrouve immédiatement sur la même longueur d’onde. Mais son boulot va bien au-delà. Il réalise une véritable prestation d’éditeur, au sens noble du terme, en proposant des quatrièmes de couverture percutantes et originales, en co-réalisant avec les auteurs des fiches techniques remarquables à destination des professionnels, en mettant à jour quotidiennement notre site Internet dont la qualité saute aux yeux à la première visite. Une mise en valeur indispensable dont beaucoup d’éditeurs patentés feraient bien de s’inspirer… L’état des ventes et l’évolution du stock sont communiqués régulièrement en toute transparence.
Pour conclure, je dirai que Krakoen, c’est tout simplement la liberté. Aucun contrat d’exclusivité. On y reste parce qu’on s’y sent bien et que les progrès accomplis sont le résultat des efforts de tous. Il n’est pas interdit de publier ailleurs du reste. L’une de mes nouvelles paraîtra en juin dans un recueil collectif chez l’Ecailler du SuD, Sacrées vieilles pierres. Si d’autres occasions se présentent, je ne dirai pas non évidemment, tout en restant un Krakoen boy actif. La famille, on n’a jamais rien trouvé de mieux… (ou de pire ndr à nouveau)
Si l’un ou l’une d’entre nous signe un jour chez un grand éditeur, je ne considèrerai pas cet événement comme une trahison, mais comme une fierté. Une sorte de consécration valable aussi pour tous les autres, une justification a posteriori que nous avions raison d’y croire, envers et contre tout !
Franck Membribe (L’ouverture Cubaine, ed L’Autre Rive 2004 – et chez Krakoen « Timgad » 2006 – divers recueils collectifs dont Graines de Noir, chez Krakoen)
Un autre coopérateur le dit : « On peut être fier d’être un auteur Krakoen : Petit, mais Professionnel et Passionné. Rien que du bonheur … »
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