Le rapport entre le roman et la réalité concerne tous les auteurs. A cette question, chacun répond selon son approche de l’écriture, sa sensibilité ou ses lectures. Certains ont noté l’impératif « …doit-il être… » de la formulation, détail pas si innocent, il faut l’avouer. D’autres admettent leur incertitude, ou estiment que le réel n’est qu’une base.
En exclusivité pour RayonPolar.com, douze romanciers ont accepté de contribuer à ce débat. Qu’ils en soient sincèrement remerciés. Grâce à la variété de leurs opinions, librement exprimées, ils nous offrent une belle réflexion sur ce thème.
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Partir d'un reflet de la réalité, c'est partir du point de vue d'un observateur qui, observant le réel, va le modifier par le simple fait de son observation. De là, soit l'auteur extrait du réel ce qui n'était alors pas encore perceptible, du moins pas au premier coup d’œil, ce qui peut rendre ce réel encore plus réaliste, plus vivace ; soit il s'en éloigne et, partant, exprime sa part de réel accolée au réalisme social, économique, criminel, psychologique, historique. Une part de non réel qui, parfois, apparaîtra bien plus réaliste que le pur réalisme.
Ce n'est pas que le roman « doit être » le reflet de la réalité, c'est qu'il « est » le reflet de ce que l'auteur perçoit lorsqu'il se fixe sur ce réel. Dès lors chaque roman sera, par la force de la multiplicité des regards, un des reflets potentiels de la réalité. Réalité parfois troublante de réalisme, parfois déconcertante par l'étrange impression que produit le texte en donnant à croire qu'il ne s'enracine pas vraiment dans le réel, je pense à l’œuvre de Somoza. D'où viendrait l'imaginaire si nous n'avions pas un corps se déployant au revers d'un monde fait de systèmes et de croyances, de rues et d'immeubles, de langues et de peuples, de terre et de ciel, de guerres et d'opinions, que l'on nomme réalité ? Dans cette mesure, n'est-ce pas l'imaginaire qui permet d'incarner le réel ? (Lalie Walker est publiée aux éditions Hors Commerce et Folio)
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Le roman ne "doit" rien, la liberté de ton, de style, de préoccupation, y est totale.
Cela dit, chacun organise son chantier selon ses penchants, ses obsessions. Et si je lis tout azimut, l'écriture est pour moi une tentative de porter un peu de lumière dans les ténèbres du réel. En y projetant des personnages dont le parcours me permet de voir un peu plus loin que dans la vie normale. Et force est de constater que si les écrivains du 19e siècle parvenaient encore à obtenir ce "reflet du réel", cette empreinte des temps présents dans le miroir promené au bord du chemin, nos surfaces réfléchissantes (les romans) ne captent que du noir. (Didier Daeninckx est publié dans la Série Noire et Folio…)
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Que le polar soit le reflet de la réalité, ça me paraît indéniable. A la condition de trouver la juste mesure entre roman et reportage. En tant qu'individu, il est difficile d'échapper à la réalité. Alors, en tant qu'auteur...
Ce genre prend sa source dans la vie de tous les jours. Les polars américains d'avant 1950 véhiculaient les témoignages des grandes dépressions. Le polar français post 68 portait une égale ambition. Cette influence s'est dissipée, même si des soubresauts engagés animent encore celui-ci. Réaliste et réel, ces noms communs ont-ils encore toute leur signification ? Roman noir n'est-il pas synonyme de roman gothique ? Grandes et petites librairies en témoignent. Suffit d'observer les têtes d'épouvante des gondoles. Les réalités ne sont plus ce qu'elles étaient, et le réel vole au niveau de l'affect de personnalités névrotiques de tous horizons.
Pour ma part, utilisant régions, départements ou villes comme héros bis de mes intrigues, je suis fidèle au décor. Au réel. J'y parachute des personnages. Il m'est indispensable de conserver la part de fictions des protagonistes. Mais par essence, réaliste, je prends en compte les phénomènes de société et les adapte à l'environnement et aux intervenants périphériques. Ce qui me permet de laisser filtrer certaines idées, à mes yeux, objectives. Coller à la réalité, oui mais une réalité plus événementielle que politique. Et sachant ménager une large plage de rêve. (Roland Sadaune est publié aux Editions du Valhermeil)
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Ouaouh ! Vaste sujet ! Je ne sais pas si le roman doit être quelque chose de particulier, réaliste ou fantaisiste. On peut aborder des problèmes contemporains par le biais d'une fiction totale écrite sur un mode très réaliste, c'est le cas de Ishiguyo dans « Auprès de moi toujours », qui traite de la mithridatisation de toute une société, victimes comprises, par rapport à l'horreur. On peut, en mettant en scène des histoires se déroulant dans un monde qui a l'apparence du réel, bâtir un univers complètement parallèle, imaginaire. C'est l'effet que me fait Vargas. Le roman peut bien être ce qu'il veut, une tranche de réel très identifiable servie sous un éclairage particulier, polémique, provocateur, ou une fantaisie propice à l'évasion. Tous les mobiles d'écriture et de lecture sont a priori respectables.
Il y a une branche du noir que je qualifierais d'hyperréaliste, qui traite pratiquement sans filtre de tranches d'actu brûlantes, et qui est empruntée par des écrivains comme Manotti, Jody, Oppel ou d'autres. Ils prouvent qu'on peut faire, avec du réel brut de décoffrage et de façon très réaliste, quelque chose de parfaitement romancé. Ensuite il y a l'angle d'attaque : entrer dans une subjectivité peut être considéré comme moins réaliste (encore que), tandis qu'une écriture comportementale serait plus objective, rationnelle et donc réaliste – ce qui reste à prouver. Il me semble qu'il en va de l'écriture comportementale comme de l'objectivité scientifique, elle peut s'avérer perversement manipulatrice. Le choix de l'angle d'attaque et de la méthode est déjà une occasion de distorsion et de déformation des faits. Peut-être que la meilleure façon de rendre une forme de réalité consiste à enchevêtrer les subjectivités et les angles de vue. Crifo réussit ça de façon assez impressionnante dans « J'aime pas les types qui couchent avec maman » : Béné extérieur, Béné intérieur, fondu au noir, etc...
Peut-être que ce qu'on appelle une écriture réaliste consiste juste à éviter de tartiner nos fictions de fantasmes trop convenus ou de stéréotypes trop grossiers, qu'il s'agisse de personnages ou de situations. De toute façon le reflet n'est pas la réalité, c'est une réalité cadrée et inversée. Un roman pertinent, réaliste ou pas, serait alors un roman convaincant dans son choix narratif, esthétique, et dont la forme servirait au mieux le propos. (Laurence Biberfeld est publiée dans la Série Noire et Folio)
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En réponse à votre question (qui est un peu particulière pour moi étant donné que j'ai passé ma vie professionnelle à broyer du réel...) non, je ne crois pas que le roman doive s'attacher à être le reflet de la réalité. En ce qui me concerne, je puise certes beaucoup dans les rencontres que j'ai pu faire et les situations que j'ai observées au cours de ma vie journalistique dans le choix des personnages et des intrigues, mais je me laisse la liberté, ensuite, d'être emporté par mon imagination. Je pensais d'ailleurs (avec délices...) être libéré de ce fameux réel pour l'écriture d'un roman et le développement de son intrigue. Il se trouve que ce n'est pas le cas. La cohérence des personnages dicte souvent leur conduite contre la volonté de l'auteur. C'est ce que j'ai découvert. Il arrive donc que le roman et son intrigue rejoignent le réel et, finalement, ce n'est guère surprenant. Je trouverais simplement dommage d'en faire un dogme. Je reste néanmoins persuadé que le roman, et particulièrement le roman noir, reste le meilleur reflet d'une époque. (Comme le disait Duhamel, si le monde disparaît un jour, la collection de la Série Noire serait sans doute le meilleur témoignage de ce qu'il a été...)
En résumé, je ne pense pas que le roman doive aspirer a être le reflet de la réalité, tant la réalité s'inscrit d'elle même en dur dans le socle d'un roman sans que l'auteur doive chercher à l'invoquer. Brèves lignes pour un très long et fort intéressant débat. (Pascal Martin est publié aux Presses de la Cité – Terres de France)
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Je n’ai pas de certitudes dans ce domaine. Plutôt des impressions variées. Les trois romans qui m’ont emballée récemment, « Lunar Park » de Bret Easton Ellis, « Kafka on the Shore » (Kafka sur le rivage) de Haruki Murakami et « White Teeth » (Sourire de loup) de Zadie Smith, réinventent un monde en partant (scrupuleusement) du nôtre. A partir de bases plausibles, ils nous embarquent dans un voyage stylistique, narratif, émotionnel d’autant plus fort qu’il est savamment architecturé. Les personnages s’expriment, s’habillent, vivent à peu près comme nos contemporains. Ils ont nos mauvaises habitudes et nos inquiétudes. Mais ce n’est que le début de l’aventure.
Ce qui est intéressant et source d’émotion, c’est que ces mondes recréés nous montrent des « reflets » de notre réalité. Dans le sens où le fantastique est juste derrière la porte. Comme dans ce roman de Murakami, « Danse, danse, danse » où le héros débarque dans une réalité parallèle grâce à l’ascenseur de l’hôtel du Dauphin. Le basculement du monde « réel » vers le monde imaginaire tient à peu de choses. C’est un froissement léger de la réalité, une discrète courbure de l’espace temps.
A priori, un roman qui est le reflet de son époque m’intéresse plus que celui qui est un reflet de la réalité. D’une part parce que la réalité est subjective : nous percevons le monde à travers le crible de nos sens, or, on sait par exemple que les couleurs n’existent pas dans l’absolu mais sont une production de notre perception. Et que la lumière est maîtresse du jeu. D’autre part parce qu’une époque englobe plusieurs réalités.
En revanche, j’émets un bémol concernant le polar. En tant que lectrice, je suis gênée par la réalité tronquée, et les histoires invraisemblables. Quand le revolver se comporte comme un pistolet, ou que les flics se prennent pour Prévert toutes les cinq minutes, ou au contraire passent leur vie à soigner leur gueule de bois, ou que les intrigues se résolvent à coups d’intuition subite. Il y a des éléments de réalisme de base qui me semblent indispensables, une fois ce fait admis, on peut décoller, délirer, réinventer, etc. Mais il faut un minimum. Et je crois que c’est pour cette raison que j’aime la façon dont le polar américain empoigne le réel. Même dans « Shutter Island » qui est un rêve, tout est réaliste. Ça n’empêche pas Dennis Lehane d’avoir un style éblouissant (à ne pas confondre avec un style joli) et de nous offrir un voyage vers des territoires mentaux à la fois connus et inconnus.
L’intéressant, c’est justement quand un auteur évoque une réalité proche de la nôtre et, dans le même temps, nous la fait voir sous un angle complètement nouveau. Un effet de proximité/distance difficile à réussir.
Souvent, pour écrire une scène, il est intéressant de partir du réel. On décrit la vitrine d’un magasin d’antiquité à Tokyo, située à côté d’un cimetière, et tout est vrai. Les objets dans la vitrine, l’allure déglinguée de l’enseigne en bois, les kanji écaillés sur la vitrine, le cri des corbeaux dans les arbres du cimetière. Et la fiction émerge d’autant mieux de cette réalité. Partir de données précises donne souvent du muscle à la fiction. Parce que l’histoire, les personnages obéissent alors à une logique. On en revient à l’histoire de l’ossature solide. Mais c’est pareil pour tous les arts. L’œuvre ne tient pas sans la composition.
D’autre part, j’avoue avoir un faible pour les auteurs qui osent se coltiner à la réalité, même s’ils en donnent une version subjective. Ils sont les plus courageux d’entre nous. Dans ce registre, j’admire Jonquet. Il est le seul à avoir osé travailler sur les émeutes de banlieues. Justement parce que c’est le sujet qui gêne, qui fâche, surtout à gauche. J’admire aussi « Les Particules élémentaires ». Ecrit dans un style volontairement plat, c’est un des rares romans français qui observe la réalité du déclin de l’occident. Pour moi, c’est un livre troublant. Il commence dans le marasme le plus réaliste, il finit comme un roman de science fiction. Tout comme dans « Lunar Park », le réel cède le terrain doucement à l’expression d’une sorte d’hyper réalité romanesque. (Dominique Sylvain est publiée aux éditions Viviane Hamy)
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Le rapport à la réalité est en effet préoccupant. Je vois le romancier comme un conteur. Il doit être capable de faire avaler des couleuvres au lecteur. Plus la couleuvre est grosse tout en restant consommable, plus le livre est réussi. C'est sans doute l'intérêt premier de l'écriture de fiction, car chacun peut constater à quel point la réalité est déjà incroyable et peu crédible. La fiction doit nous affranchir des contraintes de l'espace et du temps. Dans ce sens, les contraintes de la langue sont parfois un frein à l'imaginaire et au basculement nécessaire du point de vue. Il faudrait pouvoir écrire à la première personne quand il s'agit de toucher le réel de l'émotion, du ressenti, au plus près, et passer à la troisième personne quand on veut donner de la distance. Il faudrait en même temps pouvoir écrire au présent, pour être au plus près de l'action, et au passé, pour installer la narration. Il faudrait aussi être ici et ailleurs, au même instant, et puis vivant et mort. Il faudrait se débarrasser de la structure même du langage, parfois, pour traduire l'urgence, la fulgurance d'un instant.
Mais la réalité est le port d'attache du lecteur. Et il faut l'entraîner à larguer les amarres. Pourquoi ? Parce que l'imaginaire c'est l'aventure de l'esprit, la subversion. Celui qui n'entre jamais dans l'imaginaire d'un auteur a peu de chance de libérer le sien, d'imaginer sa propre vie, et risque fort de se laisser dicter ses choix. Mais il ne faut pas oublier pour autant le port d'attache. Le réel contient sans doute toutes les merveilles du monde, là, à portée de la main, dans notre quotidien. Mais notre sensibilité est émoussée, on ne veut pas voir, on ne veut pas entendre, on ne veut pas savoir, on veut oublier, aussi. Embrasser dans l'instant toute la réalité passée, présente et à venir est sans doute quelque chose d'insupportable pour notre cervelle et nos sens. Et comme notre vision de la réalité est forcément partielle, il faut changer de temps en temps d'angle de vue. Souvent, imaginer, ce n'est pas inventer de toutes pièces une situation, mais c'est coller ensemble deux situations réelles ou vécues qui n'avaient rien à voir au départ; c'est aussi créer un personnages en assemblant les morceaux épars de plusieurs caractères bien réels. La littérature est là au moins pour nous proposer d'aborder les choses sous un angle inattendu. Tout part du réel, l'important c'est de ne pas y rester. Le reflet pur et simple de la réalité est sans intérêt. Il faut pour le moins que le reflet trouble nous trouble, que le miroir déformant nous déforme. S'il fallait donner un seul exemple, je citerai cet écrivain irlandais (Joyce ? Becket ? Oscar Wilde ?... je ne sais plus) qui a dit : "La réalité n'est qu'une hallucination due au manque d'alcool." (Gérard Alle est publié aux éditions Coop-Breizh)
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"Dans quelle mesure le roman doit-il être un reflet de la réalité? me demande-t-on. Il me semble que le romancier n'a aucun "devoir". Un des plaisirs de l'écriture, c'est la liberté, celle notamment de jouer avec les modèles, avec les codes. Si le roman - et plus particulièrement le polar, ce "mauvais genre", donc un genre qui se veut, se dit rebelle... - s'enferme dans une série d'interdits et d'obligations, il risque de devenir étouffant, aussi bien pour celui qui l'écrit que pour son lecteur...
Le "polar" nous propose des univers infiniment variés. Il y a le réalisme à la Simenon (ah! les petites recettes de Mme Maigret, les reflets des pavés sous la pluie, le parfum d'un printemps parisien!).Dans la même lignée, je citerais Izzo (là encore, de bonnes recettes marseillaises et de "vraies" gens, avec leurs "vrais" problèmes), ou Jonquet (dont le réalisme s'exacerbe jusqu'à la peinture insoutenable de la décomposition charnelle, sur fond de boue et de désespoir). A l'inverse, on trouve les fantaisies les plus farfelues et les plus ludiques : je pense à cette bonne fée Carabine qui emmène de respectables vieilles dames dans les catacombes pour les transformer en tireuses d'élite, aux jeux de Cluedo que nous propose Agatha Christie (pas si lisse qu'on veut bien le dire), aux affaires de chambres closes de J.D. Carr ou de Paul Halter, et aux histoires (non moins invraisemblables) de détectives américains, dotés de secrétaires pulpeuses et d'une résistance incroyable aux coups de matraque et à l'alcool...
En tant que lectrice, je ne peux pas, je ne veux pas choisir. Réalisme ou non, ce n'est pas le critère que je retiens. Tout me plaît, à condition qu'une certaine magie opère. Magie qui, comme toute magie, ne peut se définir: disons que c'est la rencontre d'un style, de personnages, de thèmes... avec la sensibilité du lecteur. En tant que romancière, je ne sais pas trop ce que je produis. Quand j'ai cru écrire un texte comique (« Dans la tourbe ») on m'a dit que je n'avais rien écrit de plus sinistre. Donc désormais j'évite de me proposer le moindre but, sachant que ce que je ferai sera forcément "à côté"...
Il faut travailler à trouver sa voie / sa voix...En espérant que la magie jouera pour d'autres – réalisme ou non quelle importance? (Claude Amoz est publiée aux Editions Rivages et J’ai Lu)
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Sur ce que le roman « doit » ou ne « doit » pas être, il me semble hors de propos de disserter. Le roman « est », avec l'évidence d'une belle musique, quand il réussit à atteindre la vérité des êtres et d'une époque. Le réalisme est une convention comme une autre pas plus capable d'atteindre le réel qu'une autre.
De grands auteurs y sont parvenus, je note que leur "réalisme" comporte toujours, qu'ils le veuillent ou non, une part de fantastique (quoi de moins "réalistes" que les dernières pages de « l'Education sentimentale » ou les premières de « La Position du tireur couché »?) – (Serge Quadruppani est publié aux Editions Métailié)
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Le roman peut être le reflet de la réalité, mais ce n'est pas une nécessité. La seule chose à quoi doit tendre l'auteur, c'est de captiver le lecteur. Peu importe la manière dont il le captive, fiction totale ou approche de faits de société, voire de faits divers (avec le risque de procédures que ça implique), le lecteur est roi.
Tout l'effort de l'auteur doit se porter vers la satisfaction du lecteur, que l'œuvre soit lyrique, poétique, romantique, comique ou didactique (liste non exhaustive). S'il n'y pense pas à chaque ligne et diverge en cherchant dans l'écriture uniquement à satisfaire son ego, il est peu probable que le lecteur s'y laisse prendre deux fois. (Jean Failler est publié aux Editions du Palémon)
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Ce qui me gêne dans la question posée, c’est l’injonction contenue dans l’utilisation du verbe « devoir » : « …le roman doit-il être… » qui renvoie à un emprisonnement de la forme romanesque dans une direction exclusive. Or le genre romanesque est protéiforme, et c’est bien ainsi. Le verbe « pouvoir » (… le roman peut-il) plus adapté aurait ouvert davantage la question.
Je dirai par boutade que le roman est toujours le reflet de la réalité, mais il faut savoir de quelle réalité il s’agit : la réalité des faits décrits dans un contexte historique donné, c’est à dire un vérisme des situations et des personnages, dans la grande veine naturaliste à la Zola ou du néo polar ? La réalité de l’écrivain - en tant qu’écrivant dans un contexte donné - qui, quand bien même son œuvre serait éloignée de la réalité sociétale, révèle et témoigne de son temps ?
A dire vrai, je ne sais que répondre à cette question. Le romancier n’écrit pas un article de presse, son ambition est supérieure. Il se servira de la réalité qui l’entoure dont il s’est imbibé comme une éponge absorbe un liquide pour en exprimer une fiction au terme d’un travail d’écriture.
Pour mon compte, le roman démonstratif de faits réels, espèce de tract qui n’ose avouer son statut, atteint rarement l’émotion du lecteur. Il y manque souvent le talent propre de l’écrivain médium qui avec son style, ses phrases, sa musique narrative saura transmuter une matière brute en une création littéraire.
En conclusion, le romancier n'en fait qu'à sa tête, avec les matériaux romanesques puisés dans le réel ou l'imaginaire, parfois ce dernier donne un effet de réel encore plus fort. La vraie réponse à la question, c'est le style, il n'y a que le style qui vaille, en un mot : la littérature. (Max Obione est publié aux éditions Krakoen)
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Grande question que de travailler les liens entre le roman et la réalité. Si c'est du roman, ce n'est déjà pas de la réalité. Le journaliste est là pour l'approcher. Je dis bien l'approcher, on sait bien que l'écrit et l'image ne peuvent rester qu'une représentation d'une réalité et pas de La réalité. On sait trop bien ce que certains peuvent en faire.
Reflet de la réalité, je le prendrais à travers un miroir, déformant, prismatique, volontairement orienté, nécessairement subjectif, complètement illusoire voire désabusé quand à la neutralité du rendu. Et je ne crois pas qu'il puisse en être autrement. Et pour un auteur, je ne veux pas qu'il en soit autrement.
Je me nourris de réalité, celle des autres, celle qui est la mienne, celle aussi qu'on me fait prendre comme telle sans toujours y déceler l'honnêteté que j'y rechercherais si je faisais oeuvre de vérité.
Si le roman n'était que la réalité qu'on nous propose dans toute sa nudité, nous n'aurions pas la possibilité d'en grossir le trait, d'en déformer la perspective, d'en gommer les effets qui nous dérangent, d'en faire celle qui devient la nôtre et que nous livrons au lecteur. L'intérêt est la juxtaposition de réalités différentes pour les faire s'affronter, se mélanger pour en définir une vision pseudo commune.
Mais alors, quid de la prise de position, de la force de l'idée et de la ténacité des visionnaires...
Et nous croyons, je crois à cette réalité là, celle d'aujourd'hui pour moi en cet instant précis où il pleut sur les îles Glénan que je vois par ma fenêtre. Puisqu'il n'y en a pas d'autre... Et si tout cela n'était finalement qu'une vaste illusion ? (Serge Le Gall est publié aux éditions Alain Bargain)
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