«… Depuis longtemps, le commissaire ne fumait plus la pipe, afin de ne pas intoxiquer ses interlocuteurs. D’un regard froid, il fixa le coupable.
- Ce soir-là, vous avez utilisé votre polluant 4x4 diesel pour aller jusqu’à la rivière. Vous saviez que cet endroit, souillé par les rejets nitratés de l’usine agrochimique toute proche, n’était guère fréquenté. Vous avez dépassé la décharge sauvage, où certains inconscients jettent leurs poubelles. Puis, laissant fonctionner votre moteur, vous avez lancé dans l’eau les sachets plastiques non bio-dégradables contenant les morceaux viciés du cadavre découpé… Votre pauvre victime, que vous avez empoisonnée avec ces herbicides si néfastes pour la nature, mortels pour l’homme. Vous ignoriez, sans doute, que les riverains de ce cours d’eau, comme l’ensemble de la population, est mobilisée pour la défense de l’environnement. Au nom du principe de précaution, ils ont alerté les autorités en apercevant ces paquets suspects. Nos responsables ont immédiatement réagi. C’est ainsi que fut découvert le meurtre. L’ADN permit de vous retrouver. Vous êtes doublement criminel : un assassin et, plus grave encore, un pollueur… »
Ceci n’est qu’une caricature (chargée !) d’intrigue sur le thème de la protection de la nature et de l’environnement. Pourtant, à l’heure où tous les Français se disent sensibilisés par ces problèmes, où les discours sont aussi alarmistes que volontaires, le combat pour une vie plus saine reste incertain. Certes, nous trions nos poubelles, nous économisons l’énergie, nous récupérons l’eau de pluie, nous tentons le co-voiturage. Mais, par exemple, Bébé produit toujours des tonnes de couches jetables, Pépé se moque de fournir plus de déchets qu’une famille nombreuse, et Toutou continue à orner les trottoirs de ses déjections. Nous ne sommes donc pas si parfaits, pas si concernés. Inventer de nouvelles lois autoritaires pour nous contraindre à changer de comportement ? (Avec quelques dérogations, quand même, pour les amis de nos amis). Si c’est le seul moyen qu’on nous impose, la solution est peu convaincante.
Le roman a-t-il un rôle à jouer dans ce contexte ? Chacun de nos amis auteurs apporte (librement, avec sérieux ou avec malice) sa propre réponse à la question : « Le roman peut-il cultiver la prise de conscience citoyenne sur l’environnement et l’écologie (respect de la nature et du cadre de vie, pollutions évitables et risques pour la santé) ? »
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Je crois la magie de la littérature capable d’opérer dans tous les domaines. De surcroît la fiction, l’intrigue ludique ou émouvante, sont bien placées pour venir chercher le lecteur, le prendre par la main, le précipiter par surprise dans les réalités qu’il préfèrerait oublier. La littérature a déjà participé de certaines prises de conscience, sur des sujets à la gravité aussi mortellement urgente que celui de la destruction de notre planète par ses habitants ; il n’y a guère de raison pour qu’elle n’entretienne pas, qu’elle n’attise pas cette flamme.
A-t-elle le devoir de le faire ? Je me méfierais d’une tendance un peu trop bien pensante qui, jugeant la littérature à l’aune de son utilité immédiate, achèverait de l’uniformiser. Le roman doit rester divers, avec tous ses courants, ses sensibilités. Sachons accompagner le lecteur dans ses reflexions sur les thèmes qui nous prennent le plus férocement aux tripes, mais ne sous-estimons pas la noblesse de faire rêver, rire, pleurer, et parfois de simplement divertir. L’art est aussi gratuit.
Quoi qu’il en soit, le roman peut aider, mais ne suffira pas à éviter la catastrophe qui nous guette. A moins que les écrivains évoluent eux aussi et sachent aller au-delà de la simple prise de conscience. Tirer la sonnette d’alarme, encore et encore, n’est plus satisfaisant. Rien n’arrivera si nous ne devenons pas capables, à présent, de proposer des solutions.
A nous tous, je souhaite bonne chance.
Solenn Colléter vient de publier “Je suis morte et je n’ai rien appris” aux éditions Albin Michel.
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La littérature noire s’est mise au vert et c’est tout naturel. Le polar s’est toujours emparé des thèmes douloureux. C’est son rôle et sa qualité. Aujourd’hui, le monde souffre de la pollution, du réchauffement climatique et de la perte de sa biodiversité. Ces sujets sont donc logiquement traités par les écrivains, de Carl Hiaasen à C.J. Box en passant par T.C. Boyle. Il ne s’agit pas d’une mode mais d’une nécessité. Notre monde est en danger. Les humains sont déraisonnables. Les perspectives sont effrayantes. Nous avons un devoir de dire, d’alerter. Il n’y a pas d’autre message que celui du respect de la vie. Si j’en juge par les réactions des lecteurs, j’ose croire que le roman peut en effet cultiver la prise de conscience en matière d’environnement.
De Pascal Dessaint, dernier titre paru : "Cruelles Natures", Rivages 2007.
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Voilà une question qui tombe à pic ! Mon dernier roman traite en effet des déboires de Mary Lester aux prises avec un agriculteur peu regardant sur les moyens et qui empoisonne la vie de tout un village. Bien entendu, je me suis inspiré de faits réels, rapportés par la presse, mais j'ai aussi pris le soin de délocaliser pour essayer de n'avoir pas un nouveau procès sur le râble.
Il faut rappeler que le magasine "Eaux et Rivières" qui a fait un dossier complet sur certaines pratiques agricoles a vu deux de ses permanences saccagées par des exploitants mécontents.
Donc si vous entendez que ma maison de l'île a été saccagée, vous comprendrez que le message a porté. J'avais déjà traité dans un précédent roman (“La régate du Saint-Philibert”), des dommages énormes et irréversibles que produisent les élevages de poissons en mer (fermes aquacoles) sur la faune sauvage et aussi sur la qualité de l'eau de mer.
Je considère qu'il est du devoir du romancier, comme il est du devoir de tout citoyen normalement pourvu de sens civique, de dénoncer les pratiques irresponsables de quelques individus qui, pour des raisons de lucre, mettent en péril la santé de toute une population.
Donc, même si je suis saccagé voire agressé, (ça pourrait arriver), je continue. On pourra me casser la gueule, pas me la fermer.
De Jean Failler, dernier titre paru : "Te souviens-tu de Souliko'o ?" (2 tomes, aux Editions du Palémon, les N°30 et 31 des aventures de Mary Lester)
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Les romanciers peuvent toujours essayer, mais ce n’est pas gagné. Il me semble qu’on est plus sensible au message quand il est incarné. Je pense à des gens comme Nicolas Hulot ou Al Gore, par exemple. Le cinéma a sans doute plus d’impact, du moins à court terme. « Le jour d’après » a-t-il généré une prise de conscience quant aux dangers du réchauffement climatique ? Je ne sais pas. C’est un film un peu niais mais qui a le mérite de rappeler que le climat est en train de changer à toute allure et que les conséquences ne seront pas neutres. Bien sûr, de bons auteurs s’attellent aux sujets écologiques, je pense à Pascal Dessaint notamment. Mais comment convaincre les Américains d’arrêter de se comporter comme si la planète était triple ? Ou les Chinois de faire leur révolution industrielle sans massacrer l’environnement ? Je me souviens de mon dernier voyage à Hong Kong, il y a quelques années. La pollution venant du continent était si puissante que même cette ville côtière était englobée dans un brouillard sinistre et puant. Et la liste est sans fin. Comment convaincre les Indonésiens d’arrêter de brûler leurs forêts ? Ou les destructeurs de la forêt amazonienne d’arrêter leurs conneries ? Comment obtenir des Japonais qu’ils épargnent les baleines, ou les arbres dont ils se servent pour fabriquer des millions de baguettes en bois jetables ? Comment leur demander d’arrêter d’emballer inutilement leurs produits ? Et comment persuader le service Transport de la Mairie de Paris d’oublier cinq minutes l’idéologie pour devenir pragmatique et accepter l’idée d’une ceinture électronique autour de Paris comme l’ont fait les Londoniens ou les Singapouriens avec succès ? Pour faire avancer ces idées, on peut s’inscrire chez les écologistes, mais ils ont l’air plus occupés à se tirer dans les pattes qu’à sauver la planète. Ou écrire un polar avec un héros flic qui verbalise les pollueurs inciviques, trie ses déchets, utilise sa voiture avec parcimonie, limite l’utilisation des emballages plastiques, évite de jeter les prospectus sur les trottoirs. Mais je crains que ce bouquin ne remporte pas le succès escompté. D’autant que les romanciers ne sont pas là pour donner des leçons. Un lecteur qui s’aventure dans un roman cherche un voyage émotionnel plutôt qu’un mode d’emploi quelconque. Pour autant, la bataille écologique peut être en arrière plan. Je pense à ce magnifique roman « Smilla ou l’amour de la neige ». C’est avant tout un thriller palpitant mais derrière les mécanismes du suspense, il y a une poésie singulière. On y parle des différents types de neige, des beautés du Groenland, de la culture des Inuit. Un tel roman laisse des traces en chacun de ses lecteurs. C’est déjà beaucoup.
De Dominique Sylvain, derniers titres parus : « L’Absence de l’ogre », éditions Viviane Hamy – « Baka ! », éditions Viviane Hamy … A paraître : « Régals du Japon et des lointains », Nil Editions, collection Exquis d’Ecrivains
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Pascal JAHOUEL (Vert de rage) |
Alors, v’là t’y pas qu’après les aficionados du président de la république, le méphistophélique Claude Le Nocher a entrepris de me mettre à dos tous mes copains verdoyants !
Qu’on en juge ! Ce peu recommandable personnage entend me faire cracher que mon engagement écologique n’est qu’une façade. Une posture comme qui dirait… Que je ne suis, en l’espèce, qu’un gland à peine vert !
Pourtant juré, je me suis mis à la page dans le domaine. Je me suis soumis de bonne grâce, et depuis belle lurette, aux oukases environnementalistes dégringolant comme fruits trop mûrs. Je me suis empressé de rouler propre, d’économiser l’énergie, de consommer modérément (sauf la bière faut pas déconner), de valoriser mes déchets verts, de trier mes détritus. Et c’est pas tout. J’ai même fait installé une douche, privilégié les transports en commun et aussi géré mes problèmes d’incontinence prostatique avec des couches lavables. Bref, je ne me comporte pas plus mal que si j’étais écolo déclaré. Il m’est même arrivé, bravache, de brandir un majeur injurieux à un enf… de chauffard, en pick-up mastard, m’ayant fait une queue de poisson au volant. Et le lascar en question mesurait pourtant deux têtes de plus que moi. Je serais fin prêt à aller plus loin dans mes résolutions, si seulement on m’aiguillait encore un brin. Mais ça sonne le creux dans les boites à idées du microcosme écologiste.
Pourtant, je suis certain que les grands padischahs de la cause doivent me détroncher méchamment, et ne pas se gêner pour décréter un « haro sur le baudet », lorsque j’oublie la veilleuse de ma téloche ou que j’enfourche ma moto pour aller chercher mon canard préféré, que je m’entête à le lire sur support papier. Pire ! Ils ne vont sûrement pas tarder à lancer une fatwa contre moi parce que je prends ma tire pour aller bosser, car mes fumerons ne poussent plus assez fort mon vélo dans les côtes, et que je lis des insanités sombres le soir en croquant de l’électricité plutôt que de rêver en rose dès que la nuit déboule. En un mot, je les soupçonne de chercher un bouc émissaire. De me stigmatiser en m’accusant d’être le principal fautif du salopage de la planète en ne me résolvant pas à flinguer le pollueur qui gesticule encore en moi !
Attention les mecs, pour Tchernobyl, Bopal et Sévéso, j’ai les cuisses propres ! J’ai des alibis ! Quant à Bikini, Nagasaki et Hiroshima, j’étais même pas en gestation dans les neurones de mon dab, alors !
D’ac ! Je n’en suis pas moins qu’un dégueulasse. Sans compter que le sagouin se double à présent d’un zélateur à la p’tite semaine.
Et là, autant pour moi ! J’avoue morveux que j’propagande mou, en vieillissant, que je suis devenu plus adepte du fleuret moucheté que du bazooka, que mes méthodes sont plus subliminales qu’ostentatoires ! De tout sens, je n’sais plus faire autrement. Mais ça ne fait de mézigue l’unique coupable du j’m’en foutisme généralisé !
C’est vrai, ça ! Avant de me clouer aux pilori, ils n’ont qu’à se remettre en cause les caciques du bisness. Z’on qu’a être plus audibles aussi avant de me chercher des poux sur le caillou. Moi ma prose, elle se veux avant tout noire et distractive. Et après, seulement bien après, un poil didactique. Sinon j’aurai pris, comme eux, pignon sur rue dans le vert.
Après tout, je ne leur demande pas de me tricoter des intrigues charbonnées ! Et pourtant, dieu sait que le gore, Al, nobélisé de frais, ou bien encore le shampooineur de la télé doivent en avoir des visions sombres.
Ah oui, tiens au fait, en parlant de celui-là pour qui j’étais prêt à mettre mon bulletin en papier recyclé dans l’urne, qu’est ce qui d’vient ? On se sent orphelins nous autres les naïfs qui pensions qu’il allait remettre de l’ordre dans le bordel ambiant.
Pssitt ! Il s’est évaporé comme un pet furtif ! C’est à croire que c’est la vacance de Monsieur Hulot, en ce moment, après le jour de fête !
A moins que ce ne soit la play time, pendant que la terre brûle !
De Pascal Jahouel, aux éditions Krakoen : « Archi mortel », « La gigue des cailleras »
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Oui, le polar peut et doit dénoncer toutes les dérives et toutes les manipulations qui génèrent la pollution de l'environnement. A commencer par “la pollution de l'info” qui a poussé un bon paquet de citoyens français à voter contre leurs intérêts et ceux de la planète.
Mais attention. Déjà qu'on fume coupable, qu'on boit coupable, qu'on roule coupable, qu'on se brosse les dents coupable... Faudrait quand même pas que demain on lise coupable !!!
D'ailleurs, je vous le dis tout net : s'il fallait, pour les besoins de la cause écolo, que les enfants de Marlowe deviennent des enfants de Hulot, peut-être bien que je me remettrais au nouveau roman...
De Sylvie Rouch, dernier livre paru : « Corps-Morts », éd. Après la Lune, 2006, prix "Polar dans la ville" 2007
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La fiction romanesque lorsqu’elle flirte avec la proclamation propagandiste qu’elle soit politique entre autres ou écologique en l’occurrence est souvent d’une lourdeur imbittable. Le didactisme chiant ne fait jamais une bonne histoire. Le roman ne saurait être un tract, un reportage, une démonstration du bien fondé d’une position. Ancré dans le réel, le polar hume l’air du temps, aujourd’hui cet air pue les gaz mauvais, tu bouffes de la m… ogéhémisée clandestinement, le climat te chauffe la couenne, tu balises pour tes mômes…, pendant ce temps-là les lobbies dopés aux multinationales te racontent des salades, subvertissent les élus du peuple, te soutiennent que le nucléaire, c’est vachement pas polluant en omettant toujours de chiffrer ce que coûte – en argent et en santé - le traitement des déchets, le devenir des centrales en fin d’activité, quand on sait que la radioactivité demeure nocive durant des milliers d’année. Quelles sont les institutions humaines qui sauront pérenniser au cours des siècles la protection des populations contre ces radiations mortifères. Bonjour les vestiges contaminés ! Nabuchodonosor, ce n’est pas vieux à cette échelle, et ça te glace d’effroi. On t’empapaoute avec tous les rouages avisés (sic) de l’appareil d’Etat, le dernier avatar c’est le Grenelle de l’environnement avec toutes ces discussions et ses propositions finales, je parie ma chemise que les mesures gouvernementales ne seront que de la poudre aux yeux, pour amuser la galerie, tant que le mode de production qui dévore les matières premières, qui place la rentabilité et le profit au cœur de la démarche économique, qui revendique l’augmentation du taux de croissance au lieu de l’augmentation du taux de bonheur, Sarkubu est condamné fatalement à renier ses engagements d’estrade pour un monde écologique meilleur.
En résumé, le roman peut évidemment s’emparer de ce « buzz » romanesque. Mais le but premier du roman ne peut être la prise de conscience citoyenne sur l’environnement et l’écologie, si celle-ci existe elle ne peut être qu’accessoire, elle intervient en plus dans le cheminement de la pensée du lecteur, secouée par l’histoire qu’il vient de lire et dans laquelle sa sensibilité et son intelligence le conduiront ou non à réfléchir. Et s’il ne réfléchit pas, c’est sans importance au fond. Sinon, il faut mieux que le lecteur se fade un essai sur l’environnement et l’écologie. Si le bouquin est bon, il aura passé un bon moment. C’est déjà pas mal en toute humilité.
Perso, j’ai écrit un roman « Les vieilles décences », c’est une histoire de “céréales qui leurrent”, en l’espèce il s’agit du blé transgénique cultivé en fraude dans la Beauce, sous licence d’une multinationale des semences. A la fin, mes deux héros font sauter un silo où le blé est stocké avant d’être exporté vers l’Afrique car il présente quelques inconvénients pour la santé. On est en plein terrorisme, peut-être une réponse fatale à l’impossibilité de faire prévaloir l’intérêt général face aux lobbies. J’ose encore espérer que non. On trouve les références ici : http://www.krakoen.com/FicheVieilleDecences.html. Disponible chez Krakoen, vous pouvez également le commander chez votre libraire (distribution Calibre). Un roman avec de la verdeur et de la gouaille, pas triste en somme malgré le sujet.
Max Obione vient de sortir « Balistique du désir », 21 histoires, préface de Marc Villard. – Editions Krakoen
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Il est toujours risqué d'utiliser la fiction romanesque pour essayer de faire passer un message, quelle que soit la pertinence de ce message. Il m'est arrivé de décrire certaines dérives agri-environnementales, notamment dans un roman intitulé « Il faut buter les patates », et l'absence de réaction de la part des lobbies mis en cause montre à quel point la littérature n'est pas faite pour changer le monde - tout au plus peut-elle changer les gens (une personne, ici ou là, pourra être chamboulée par la lecture d'un ouvrage). En fait, les coupables sont cyniques, sûrs de leur puissance, et les citoyens, quelque peu fatalistes, alors, l'inertie est immense. Le plus efficace - j'entends au sens littéraire du terme, est peut-être la science-fiction, le roman d'anticipation, quand il nous projette dans un avenir inquiétant et nous oblige à refuser cette fatalité. Le roman noir, aussi, peut nous bousculer, en nous faisant voyager dans la réalité glauque d'un complexe chimico-oligo-mafieux du fin-fond de la Russie ou de la Chine, par exemple, mais il risque, alors, de nous faire croire que le danger vient d'ailleurs, alors qu'il vient surtout de nous-mêmes. Le roman que je suis en train d'écrire en ce moment, troisième d'un cycle intitulé « Lancelot fils de salaud »(*), nous projette dans une vingtaine d'années. La technologie y côtoie le chaos, plein de choses en lesquelles nous croyons aujourd'hui ne fonctionnent plus, ou par intermittence; il y a des vieillards séniles dans les maisons; il fait un brin plus chaud, ce qui permet de faire du vin en Bretagne et même en Suède (en fait ce sont les amplitudes climatiques qui augmentent, ainsi que les tempêtes). Le chaos qui règne dans certaines zones fait des dégâts socialement, mais il permet aussi des expériences originales, lorsque les hommes savent désobéir et se réinventer un vivre ensemble. En fait, la question centrale, dans ces histoires de littérature et d'écologie est celle du contrôle social. Agiter la peur de la pollution, de la maladie et de la mort est très contre-productif, politiquement parlant : si tout est foutu, pourquoi se battre ? Si l'on joue avec cette matière explosive, il faut aussi, en face, jouer avec l'utopie. Aujourd'hui, nos enfants nous entendent dire à longueur de temps que le monde est pourri, et que leur vie sera plus dure que la nôtre. Or, demain leur appartient et sera ce qu'ils en feront. En ce sens, le catastrophisme littéraire est réactionnaire. Vive l'utopie !
De Gérard Alle, dernier titre paru : « Les papys féroces » aux éditions Coop Breizh. (*) « La fugue de l’escargot » et « L’arbre aux chimères ».
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Le roman policier est presque toujours la mise en scène d’un certain chaos. Je pense à un roman apocalyptique de Pierre Siniac, dont hélas je ne me rappelle pas le titre, dans lequel seuls certains citoyens possesseurs d’une carte (verte ?) avaient la possibilité de se faire soigner. Les autres pouvaient aller crever dans leur coin. A l’heure où certains de nos députés veulent promouvoir les tests ADN pour faire le tri du bon grain et de l’ivraie, comment ne pas repenser à ce texte prémonitoire ? Je ne crois pas pour autant que l’une des fonctions du polar soit de dénoncer des « dérives ». De les précéder en les imaginant, oui.
De Pascal Martin, derniers titres parus « Les fantômes du Mur Païen », « La malédiction de Tévennec » (Presses de la Cité, Terres de France). Prochain titre à paraître en janvier 2008 : « L’archange du Médoc ».
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Bien entendu le roman peut cultiver l’écologie, dans son sens généraliste. D’ailleurs il ne s’en prive pas. Cependant, si nous ne considérons que le mode policier, la culture de cette science est plus limitée. Si j’ai bonne mémoire, au cinéma, dans “Chinatown”, Polanski aborde le sujet avec l’eau. Parfois, sur le parti pris de son auteur, l’écologie peut être au cœur de l’intrigue du roman, allant même jusque s’articuler autour d’un lobby s’y rattachant. Un autre auteur, plus discret ou moins engagé, promènera son ou ses personnages dans un cadre de vie propice à souligner par petites touches les phénomènes environnementaux, sans pour autant les prendre à bras le corps. Difficile dans certains cas de s’investir dans un respect de la nature et de camper une scène de crimes au milieu d’un champ. L’antinomie des cadavres et de la pollution. Pour ma part, polar et écriture « propre » sont difficilement compatibles…
A constater dans « Sacré cœur d’Oz », mon polar sur les pas de Maurice Utrillo et « Certains l’aiment froide » (à paraître), où j’exhume carrément notre splendide Marilyn M.
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Le roman peut-il participer à la sauvegarde de la planète? La littérature peut-elle influer le cours de l’Histoire?
- Claude Le Nocher: « Ici, c’est moi qui pose les questions. »
L’homme va à sa perte et, depuis peu, semble accélérer. Mais, lire ‘La nausée’ n’empêche pas la gueule de bois ni ‘Les mains sales’ l’hygiène palmaire. Et, peut-on rattacher le « lancez des pierres » de mai 68 au « semez des cailloux » du petit Poucet.
‘Vingt mille lieues sous les mers’ a fait bien plus pour la plongée sous-marine ou l’aquariophilie récifale que pour le respect des océans. ‘Les trois petits cochons’ sont-ils à l’origine de vocations d’éleveurs intensifs et atrabilaires, ont-ils concouru à la réintroduction du loup dans le Mercantour? Et s’il n’y a plus de saisons, ma pauvre dame, que la terre se réchauffe, ‘A la recherche du temps perdu’ nous est-il d’un grand réconfort? ‘Mille recettes sans peine’ lutte-t-il contre la faim dans le monde? Quant aux ‘Trois mousquetaires’ ils pointent à la CRS 22.
- Claude Le Nocher: « Je ne le répèterai pas, ici, c’est moi qui pose les questions ».
Mais s’il fallait un geste fort, radical, pour sauver la planète, alors que 750 bouquins occupent les présentoirs des librairies en cette rentrée littéraire (qu’un employé consomme 70 kg de papier par an), sachant les pollutions atmosphériques dues aux composés sulfurés, les pollutions aquatiques liées aux effluents chlorés (plus les bactéricides et les fongicides du traitement de la pâte à papier) la seule solution est d’arrêter d’écrire. Mais … « Les cent Pins Up du siècle » (aux éditions ’’carrément introuvable‘’) semblent consoler les célibataires ruraux et dépressifs du crève-cœur qu’est son prix d’achat. Roque Dalton évoque justement les bibles aux couvertures d’acier qui arrêtent les balles lorsque les desperados les portent sur le cœur. Alors oui, le livre, le roman s’il ne cultive qu’imparfaitement la prise de conscience citoyenne est un compagnon qui aide à vivre et c‘est déjà pas si mal..
Yvon Coquil, auteur de « Black Poher » aux Editions du Barbu.
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Ben il me semble presque normal qu'un roman, fut-il policier, puisse servir à quelque chose. A distraire, enrichir, divertir ou ralentir cette saloperie du temps qui passe pendant lequel on ne devrait que produire, se reproduire. Bast ! Fichtre.... Alors si en plus un roman, fut-il policier, peut aussi contribuer à sauver la planète… car d'après ce qu'on en dit… elle en a bien besoin la planète. Elle est pas nette, et même franchement dégueulasse, polluée et encore plein de
choses qu'on nous cache, c'est sûr. Donc un roman, fut-il policier, doit cultiver, pourquoi pas, la conscience citoyenne sur l'environnement et l'écologie.
Par exemple si vous lisez mon dernier roman "La Remontée de la Civelle", édité chez Terre de Brume, vous y apprendrez à les connaître, mais aussi à les respecter les civelles. Elles ne sont pas que voyageuses, goûteuses, elles peuvent devenir douteuses, le temps d'un roman. S'il vous plait, si après lecture, vous êtes mécontent, n'en déchirez pas les pages, ne les jetez pas par terre. Déposez-le sur un banc, dans un parc bien vert, quelqu'un finira bien par le remarquer et le lire.
Quant à vous, vous aurez cultivé votre conscience citoyenne écologique.
D’Alain Vince, dernier titre paru : "La Remontée de la Civelle", Editions Terre de Brume.
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Le roman, policier ou autre d’ailleurs, se nourrit de l’air du temps. Temps passé, temps présent ou à venir. Du temps à soi et celui que l’on prend aux autres. Il est assez naturel que des histoires romanesques s’habillent d’écologie. Surtout que le sujet est sorti de la clandestinité puisqu’il est aujourd’hui de bon ton de s’en préoccuper. Sauf que les éoliennes ne sont pas les seules à brasser de l’air !
Attention ! La croisade de Jeanne d’Arc n’était pas tout à fait la même que celle de Fouquier-Tinville ! Erin Brockovich est passée par là. Mais pourquoi ne verrait-on pas un tueur écolo (serial killer ou justicier ?) faire la chasse aux pollueurs de la World Company, avec des balles bio et recyclables ? De quoi jeter le masque en gardant la plume pour le goudron !
Trèfle de plaisanterie.
Il n’y a de bon sujet que celui qui passionne. Et le respect de l’environnement mérite bien quelques lignes un brin didactiques dans un roman mais sans lasser. Je ne dis pas forcément légèreté mais il faut trouver une porte d’entrée, un sésame ( graines de). Un roman touche souvent mieux sa cible qu’un pensum indigeste. Pourtant, ils peuvent traiter du même sujet.
A l’auteur de modifier génétiquement son organisme pour produire la substantifique moelle qui va nourrir son petit dernier ! L’important c’est la dose ! Et si l’on peut dégazer bio c’est quand même beaucoup mieux !
De Serge Le Gall, dernier titre paru : « Le moine rouge de Carantec » Editions Alain Bargain.
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Je pense que oui, évidemment. Pendant très longtemps, au moins jusqu'au années 90, les seuls romans qui -à ma connaissance- évoquaient les problèmes d'écologie se trouvaient dans la SF, genre dystopique et d'hypothèses par essence : « Le Temps des genévriers » de Kate Wilhem, « le Troupeau Aveugle » de John Brunner pour n'en citer que deux des 70ties, ou plus récents, « Zodiac » de Neal Stephenson (polar SF extraordinaire et hilarant qui narre les agissements d'un eco warrior de génie à la James Bond), « Gros Temps » de Bruce Sterling ou « SOS Antarctica » de Kim Stanley Robinson (ce dernier étant plus inquiétant car proche des extrémistes de la deep ecology dans son propos). En SF la liste serait longue. Mais, cantonné au milieu SF, cela ne prêchait que des convaincus (scientifiques, prospectivistes et lecteurs de SF habitués à jongler avec les postulats hard science ou non) et souvent un lectorat plus marginal (la SF en France des années 70, politisée, était aussi celle d'auteurs présents aux origines des mouvements écolos : Andrevon, Pelot, Frémion...)...
Je me souviens dans un colloque en 1999 avoir prononcé une intervention sur ce thème (je n'ai pas retrouvé mon texte!), et je n'avais alors trouvé aucun auteur hors SF à citer en polar -si je me souviens bien (mais je ne suis pas Claude Mesplède!). En fait la prise de conscience de ces dernières années a fait surgir plus communément ces sujets dans le polar, le thriller comme en littérature générale (ex : le remarquable "Un ami de la Terre" de T.C. Boyle, qui est dans un futur proche) et cet accompagnement des mentalités banalise le sujet, au bon sens du terme. Mais il aura fallu presque trente ans pour que cela sorte de la littérature de genre de prospective à une littérature du réel, dont le lectorat est plus large, qui dénonce et pointe les dérapages, les abus, les malversations, les enjeux... (idem au cinéma, dans les documentaires...) De fait, le thème est, mais je peux me tromper, encore plutôt récent en polar et tout reste à faire car les sujets d'intrigues et de magouilles ne manquent pas. En effet, la vague écolo, bio et autres industries vertes ouvrant sur des marchés importants (le système récupère tout), il y aura forcément des âpres aux gains qui détourneront les actions écologiques pour en faire des sources de profits et de pouvoirs mafieux ou de luttes entre Etats... comme en face vont se multiplier les dérives chez les écolos radicaux (un sujet utilisé déjà par Jean-Christophe Rufin, mais je ne l'ai pas lu) ou chez les pollueurs restés imperturbables et résolus à ce qu'on ne vienne pas les déranger dans leurs méfaits. Si écrire des romans d'espionnage à la Ambler ou autres aujourd'hui ne serait plus possible pour cause de fin de guerre froide, si le thriller se recentre sur le terrorisme islamique, il y a fort à parier que des sujets comme l'écologie vont venir de plus en plus présents au fil de la prise de conscience du public et du réchauffement des bières dans les frigos de chacun. Un bon indicateur est je trouve John Le Carré qui est passé au fil des décennies de l'espionnage aux magouilles pharmaceutiques. Il va bien nous faire un roman lié à l'écologie (peut-être déjà fait d'ailleurs ?). Qui va écrire les turpitudes d'Union Carbide à Bhopal par exemple et comment les victimes n'ont que leurs yeux rongés pour pleurer tandis que le fric est parti ailleurs ? Qui va raconter comment le tsunami de l'Asie du Sud Est a permis de virer des populations de pêcheurs pour bétonner à foison pour le tourisme ? C'est du sujet de roman noirissime comme on n'imaginerait même pas... or cela brasse si large dans un monde devenu si complexe que seul le roman peut tout mettre en perspective et faire oeuvre de pédagogie, peut-être mieux que les médias qui ne sont aujourd'hui plus guère en odeur de sainteté. J'espère que de nombreux auteurs s'y attacheront pour continuer d'alerter les esprits...
De Francis Mizio, derniers ouvrages parus (fin octobre 2007) :
Le Poulpe "Sans Temps de latitude", Baleine/La Martinière
(http://sanstempsdelatitude.blogspot.com)
"Comment les araignées d'eau donnent un sens à l'existence et pourquoi il faut répandre la Contemplation Gerritique ™©® pour sauver le monde" (annexes et notes de Christian Dufour, AdK éditeur) (http://contemplationgerritique.blogspot.com/)
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En octobre 2005, Hervé Jaouen répondait sur ce site à une question proche de notre sujet d’aujourd’hui : « Restez-vous très mobilisé sur les questions de pollution de l’environnement ? »
H.Jaouen : Mobilisé n’est sans doute pas le mot exact car je ne milite pas. Je demeure attentif, mais en glissant doucement vers le fatalisme (ironique ?)… Il n’y a plus une truite dans mes rivières, il n’y a plus d’insectes. La catastrophe était annoncée (notamment par l’association Eau et Rivières de Bretagne) depuis longtemps. Rien n’y a fait. Et ça continue. Il y a trop de lâcheté économique et politique autour de nous pour que ça change. A moins qu’il ne devienne indiscutable un jour que la santé publique est en jeu. En attendant, il y aura des îlots de résistance (le fermier-boulanger bio, près de chez nous), mais le grand bouleversement, la prise de conscience générale n’est pas pour demain. Histoire de contribuer un peu à cette prise de conscience, je compte écrire un de ces jours mes souvenirs de pêcheur et de chasseur. Souvenirs, alors que c’était il y a vingt ans !...
D’Hervé Jaouen, derniers titres parus : « Le testament des Mc Govern » et , en octobre 2007, « Les filles de Roz-Kelenn » (Presses de la Cité, Terres de France)
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