|
La Bio |
Mar L. Boro était un petit homme rondouillard, au crâne dégarni ; ces yeux protubérants l’apparentaient plus à la famille des batraciens qu’à celle des hominides et les trois verrues qui ornaient son nez n’infirmaient pas ce diagnostic. La vie qu’il menait n’était pas plus attrayante. Jamais la moindre petite histoire n’était venue rompre la monotonie de son existence, même son mariage s’était déroulé sans problème ni passion. Il avait épousé une petite femme pas vraiment laide, pas vraiment belle comme d’autres achètent une savonnette, par souci d’hygiène. Sans choisir. Mais il n’avait jamais eu à s’en plaindre. Elle s’était révélée être exactement ce qui lui convenait le mieux : attentive, avenante et discrète... Oui vraiment, la vie de Mar L. Boro, s’écoulait telle une longue rivière, sans remous, sans histoires, hormis, bien sûr, celles qu’il écrivait. Car Mar L Boro était écrivain. Ce jour-là, il finissait de rédiger les aventures mouvementées d’un fou nommé Peter S. Confortablement installé devant sa machine à écrire, il hésitait sur la suite qu’il convenait de donner à son volumineux récit. En effet, son héros se trouvait en très mauvaise posture. Il était piégé dans une banque. Peter S. était parvenu à s’évader de l’hôpital psychiatrique, où il était détenu depuis plusieurs mois. Déguisé en religieuse, lors de sa cavale, il avait violé deux nonnes à l’aide d’un crucifix puis étranglé l’une avec les tripes de l’autre. Mar L. Boro en était arrivé maintenant au dénouement et il lui fallait délivrer son personnage de ce nouveau piège. Après la courte pause mise à profit pour renouer avec l’inspiration et boire le verre de lait que sa tendre épouse venait de déposer sur son bureau, il reprit le cours de son histoire. « Les clients et les employés de la banque gisaient sur le sol, bien en vue, entre les guichets et la vitrine. Peter S. les observait, ils étaient grotesques, tels des papillons épinglés. Il les observait avec délectation, les détails ridicules de leur position le renvoyaient aux moments les plus palpitants de sa cavale. La chaussette tire-bouchonnée sur la cheville blanchâtre du petit brun à lunettes, le fit repenser à ce mari qu’il avait débité en tranches. Les pleurs et les soubresauts de l’employée lui firent revivre son évasion de l’asile quand, le crucifix dans la vulve, Sœur Amélie lui demandait en pleurant et en se signant d’être raisonnable. Il détailla longuement les fesses, enserrées dans un minuscule slip rose, de la cliente qui s’était jetée au sol précipitamment et n’avait pas pris garde à sa jupe, puis il enjamba une petite vieille morte depuis dix minutes d’une crise cardiaque. Posté derrière la porte de la banque, il scruta méticuleusement les alentours. Son regard perçant lui permit de localiser la dizaine de tireurs d’élite embusqués sur les toits. La situation était délicate, très délicate, mais pas désespérée. Il s’était tiré de postures bien plus épineuses. Tout était question de sang froid, il ne fallait pas qu’il cède à la panique. Comme toujours dans ces cas-là, il trouva immédiatement la solution adéquate. Il décrocha le téléphone et demanda à être mis en communication avec le commissaire responsable de l’opération. - Je veux une voiture devant la banque dans cinq minutes ! ... sinon j’abats un otage toutes les cinq minutes ! ... lâcha-t-il dans le combiné. Quand les cinq minutes se furent écoulées, il vérifia que la voiture l’attendait devant la porte puis, refaisant face aux pauvres bougres qui’ tremblaient sur le sol, il se mit en quête d’un otage. Il savait que le succès de sa fuite dépendait de ce choix, aussi jeta-t-il son dévolu sur la seule femme enceinte du lot. - Debout ! ... lui dit-il en balançant un coup de pied dans son ventre plein. Il se colla contre son dos et, la tenant fermement par la tignasse, la poussa jusqu’à la sortie. - Si tu fais l’idiote, je te bute ! ... lui glissa-t-il très suavement à l’oreille tout en lui enfonçant le canon de son feu dans les reins. La future mère en guise de bouclier, il franchit le seuil de la banque et, les yeux fixés sur les toits environnants, se dirigea vers la voiture. Mais, alors qu’il grimpait dans l’auto, il croisa la ligne de mire de l’un des tireurs d’élite. Ainsi s’acheva la cavale sanglante de Peter S., le fou sans cœur. » Mar L. Boro inscrivit le mot fin au bas de la page puis, armé d’un stylo rouge, re1ut les dix feuillets qu’il venait d’écrits. Mais comme la chute ne l’emballait pas, il y apporta une légère retouche. Juste après la vaisselle, son épouse lui demanda de passer à la banque pour retirer de l’argent. Il s’exécuta sans se faire prier, car Mar L. Boro n’était pas homme à refuser un service. A peine avait-il franchi le seuil de l’agence qu’une espèce de gorille, au regard de dément, lui enfonça le canon d’un revolver dans le cou. Mar L. Boro jeta aussitôt un regard désespéré dans le hall : il n’y avait aucune femme enceinte. Alors, pressentant qu’il servirait de bouclier, il se dit tristement : « Pourvu que ma vie ne soit pas un roman... » Pendant ce temps, Madame L. Boro, profitant de l’absence de son mari pour ne rien faire, s’assit derrière la table de travail, se saisit du manuscrit et le feuilleta distraitement. Seule, la dernière phrase écrite à l’encre rouge attira son attention. « Par chance, il s’était légèrement déplacé quand le policier pressa la détente, et ce fut l’otage qui écopa de la décharge, en pleine tête. » |
Vos commentaires |