Amor d'Alfredo - RayonPolar

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Amor

par

L.Alfredo


La Bio

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Ecrasée par la chaleur moite qui se coulait jusqu’au moindre recoin ombragé, la ville somnolait au bord du fleuve à demi tari.
Le soleil atteignait le zénith, lorsque Madame Nathalie Fauvette engagea sa bicyclette, dans l’étroite rue du Bar. Fendant les vapeurs de goudron qui stagnaient entre les bâtisses, elle avançait avec mollesse. L’asphalte qu’elle arrachait à la chaussée dans un clapotis flasque, semblait ralentir son allure.
Le front ruisselant de sueur, un léger chemisier collé à la peau, elle pédalait avec lassitude, dévoilant à chaque tour de roue, ses cuisses brunes et fines.
Il ne lui restait plus qu’une centaine de mètres à parcourir avant de trouver refuge dans la fraîcheur de la cour intérieure de son hôtel particulier.
Une multitude de tâches l’y attendait. Le mois prochain, elle mariait sa fille et dans sa famille un mariage ne se réduisait pas à simple passage devant le maire.
Mais la première chose qu’elle ferait, en refermant la porte de son domicile, ce ne serait pas de régler les derniers détails de la cérémonie. Elle quitterait ses vêtements poussiéreux, humides et puant les vapeurs d'hydrocarbure, plongerait son corps dénudé dans l’eau parfumée du bain et avalerait une grande chope de café glacé.
Elle haussa les épaules. Peut-être se dévêtirait-elle dans le bain tout en sirotant son café ? Peu importe ! Pourvu qu’il ne manque rien !
Elle appuya fort sur les pédales. Sa jupe remonta jusqu’à la lisière de son slip blanc.
Trop absorbée par son effort et ses pensées, Madame Nathalie Fauvette ne remarqua pas l’estafette, qui démarra juste après son passage et qui klaxonna.
La roue de son vélo mordit le caniveau. Le véhicule la dépassa lentement. Le chauffeur, les yeux rivés sur le rétroviseur, se léchait les lèvres.
Elle baissa ses yeux. Son regard tomba sur ses cuisses que sa jupe courte ne couvrait pratiquement pas. Elle lâcha le guidon d’une main, rabattit le tissu et obliqua vers le milieu de la chaussée
Brusquement, l’estafette freina. Les portières arrières s’ouvrirent.
Madame Nathalie Fauvette pressa précipitamment les freins et posa les pieds à terre. Malheureusement, l’arrêt de la camionnette avait été trop subit et sa réaction trop tardive. Emportée par son élan, la bicyclette percuta le pare-chocs arrière. La roue avant se tordit. La pointe de la selle cogna le bas de la colonne vertébrale de Nathalie. Deux individus, le visage dissimulé, la saisirent par les aisselles et la balancèrent dans la camionnette. Les portières se refermèrent. Le moteur s’emballa alors qu’elle tentait de se redresser. La secousse la déséquilibra. Sa tête rebondit contre la cloison métallique. Ses mains cherchèrent une anfractuosité pour se retenir mais un gouffre béant s’ouvrit sous ses pieds.

Elle vogua un moment dans un noir oppressant…

Le froid du plancher métallique, sur lequel madame Nathalie Fauvette se posa, lui arracha un cri d’effroi.
Le bruit du moteur s’était tu. Tout à coup, les portes s’ouvrirent. Craintivement, Nathalie se leva et avança vers le rectangle lumineux.
Elle passa sa tête à l’extérieur. Le soleil avait disparu. Le ciel était laiteux, comme un jour de février.
Une volée de riz la salua.
- Vive la mariée ! ... vociféra la foule qu’elle découvrit massée autour du véhicule.
Nathalie examina les gens qui l’entouraient. Ils étaient bizarrement vêtus. La plupart étaient coiffées de canotiers et portaient des blazers rayés.
Un homme sortit de la cohue et vint à sa rencontre. Il la prit par la main et l’invita à le suivre. Aussitôt une clique entonna la marche nuptiale.
- Pourquoi êtes-vous venue dans l’un des camions de votre père ? lui demanda l’homme.
Nathalie se tourna vers la camionnette et lut « Transport de Viande ». Elle refit face à l’homme qui la tenait, maintenant, par le bras ; elle reconnut son mari.
Celui-ci la poussa en avant. Elle leva les yeux : au sommet d’un escalier monumental était érigée une petite église blanche dont les cloches tintaient.
Entraînée par la foule bigarrée qui la talonnait, elle gravit les premières marches.
- Où suis-je ? demanda-t-elle en s’immobilisant.
- A l’église ! ... lui répondit son époux.
- Que voulez-vous ? s’écria-t-elle en direction de la multitude.
- Un mariage... Un mariage... Un mariage...
Ces gens se méprenaient ! Ce n’était pas elle la mariée, c’était sa fille ! Mais il était vrai que ce mariage ressemblait au sien !
Elle dégagea son bras d’un geste brusque puis, faisant face à la foule, elle hurla :
- Vous n’en aurez pas !
Alors qu’un immense éclat de rire déformait 1es visages qui l’entouraient, elle sentit la main de son mari se refermer sur son bras.
- De gré ou de force, nous te marierons ! ... lui murmura-t-il.
Des milliers de bouquets virevoltèrent dans les cieux
- Qu’y a-t-il de plus beau qu’un mariage pour commémorer la fête de l’amour ? entendit-elle énoncer à son époux.
- Vive la mariée ! ... Vive la mariée ! ... s’époumona la foule alors que les fleurs retombaient le long de l’escalier
Un millier de mains s’abattit sur son corps. Des doigts fébriles la saisirent par la taille, pendant que des paumes moites, qui tentaient d’empoigner ses chevilles, se pressaient le long de ses cuisses et de ses jambes. Des phalanges maigres s’enfoncèrent dans son dos. Une violente poussée l’arracha du sol...

Elle ferma les yeux et sombra dans l’abîme obscur de l’inconscient…

Le châssis métallique du lit-cage, où Madame Nathalie Fauvette venait d’échouer, entailla profondément son genou. Sous l’emprise de la douleur, elle ouvrit les yeux. Trois silhouettes longilignes, éclairées par une ampoule se balançant mollement, l’observaient en silence.
Fuyant le regard brûlant des hommes en redingote sombre, elle se recroquevilla sur elle-même pendant que ses yeux bondissaient de mur en mur à la recherche d’une issue de secours.
- Où suis-je ? demanda-t-elle, contenant difficilement les sanglots qui emplissaient le fond de sa gorge.
- Au Village des Amoureux, lui répondit l’un des hommes coiffé d’un haut-de-forme.
- Que voulez-vous ? s’écria-t-elle.
- Une confirmation de mariage ! Comme il se doit, en ce mois de février… énonça une voix sourde.
- Une confirmation ! ... Une confirmation ! ... répétèrent en cœur les deux autres individus.
- Vous ne l’aurez pas ! hurla Nathalie en se blottissant contre le mur.
- De gré ou de force, nous l’aurons.
Les trois hommes esquissèrent un pas dans sa direction. Leur ombre filiforme descendit du plafond où elle oscillait lentement au rythme du va-et-vient de la lampe et enveloppa Nathalie dans son filet froid et menaçant. L’un des hommes lui présenta un document :
- Ce diplôme en parchemin personnalisé certifiera votre passage devant le Saint Patron des Amoureux… de la confirmation de vos vœux !
Nathalie dévisagea l’homme qui venait de parler. D’un geste lent, il roula le document et le glissa dans une poche de son habit. Alors qu’un fin sourire sardonique retroussait leurs lèvres, les trois inconnus ébauchèrent un nouveau pas. Leurs mains osseuses tendues, ils s’apprêtèrent à la saisir.
Les yeux exorbités par la peur, elle bondit sur la couche, prête à se défendre, prête à labourer de ses ongles les faces hideuses de ses assaillants.
Malheureusement, le treillage métallique du sommier craqua sous son poids.
Déséquilibré, son corps bascula en avant. Une violente claque stoppa sa chute et la propulsa contre le crépi lépreux. Elle rebondit avec violence et bascula. Sa tête percuta le sol dallé…

Elle chavira parmi une infinité de souvenirs…

C’est une atroce migraine qui réveilla madame Nathalie Fauvette. Elle tenta, dans l’obscurité d’encre où baignait la pièce, de discerner les objets qui l’entouraient. Sa main tâta avec précaution le lit sur lequel elle gisait. Les draps soyeux étaient défaits, froissés et humides par endroits. Subitement, ses doigts rencontrèrent un corps nu.
Elle se redressa. La transpiration qui coulait le long de son dos collait sa chemise de nuit à sa peau. Le martèlement désordonné de son cœur résonnait dans ses tempes et amplifiait la douleur qui lui broyait la tête.
- Où suis-je ? hurla-t-elle.
La brûlure d’une lumière blanche, qui envahit la pièce, l’obligea à fermer les yeux.
- A la maison... grogna une voix.
Elle souleva ses paupières. Son mari l’observait en silence. Sous ses traits bouffis de sommeil, elle devina la colère.
- Que veux-tu ? demanda-t-elle paniquée.
Il haussa les épaules, puis, tout en secouant la tête, lança d’un ton glacial :
- Que tu me laisses dormir...
Nathalie embrassa du regard la pièce. C’était sa chambre !
- J’ai fait un cauchemar... fit-elle en se rallongeant.
- Ce n’est pas une raison... murmura son époux avant d’éteindre la lumière.
Fixant intensément le plafond, Nathalie lâcha la bride aux souvenirs.
L’amour, elle l’avait rencontré, au hasard des rues, voilà vingt ans, alors qu’elle s’apprêtait à fêter son dix-neuvième anniversaire. C’était un premier novembre, une de ces journées où le ciel bas et lourd emplit le cœur de tristesse. Le matin, elle l’avait passé au cimetière à couvrir le caveau familial de chrysanthèmes et à placer des bougies sur la tombe… Une coutume que ces ancêtres avaient importée de Wallonie…
L’après midi, alors que régnait une ambiance désœuvrée et très morne dans l’hôtel particulier de la rue du Bar, elle décida de partir en vadrouille dans la ville. Tout à coup, alors qu’il était peut-être encore à dix pas d’elle, venant en sens inverse, elle vit un jeune homme… Un sourire imperceptible illuminait ses yeux… Elle n’avait jamais vu de tels yeux… Il se faisait appeler Esp’…
Le début de l’espoir…
Novembre, décembre, janvier… ce fut en février qu’elle vit pour la première fois l’homme qui deviendrait son mari.
Juchée sur sa bicyclette, elle franchissait la porte cochère de l’immeuble familial au moment où une voiture se rangea contre le trottoir.
Nathalie freina précipitamment. La bicyclette stoppa sa course à quelques centimètres de l’aile gauche du véhicule. Le conducteur, probablement alerté par le crissement des pneus, jeta un œil dans sa direction et lui décocha un sourire insipide. Elle haussa les épaules, appuya fermement sur les pédales et enfila gaiement la rue du Bar. C’était le quatorze février, c’était la Saint Valentin et elle avait rendez-vous avec l’amour.
Nathalie enfonça sa tête dans l’oreiller. Des larmes s’échappèrent de ses yeux… Comment aurait-elle pu deviner qu’elle ne reverrait plus jamais l’homme qu’elle aimait, que sa famille la contraindrait à rompre avec Esp’ et à épouser cet inconnu ?

Emportée par la nostalgie, elle s’enfonça dans le néant…

Madame Nathalie Fauvette tendit distraitement la main vers son mari. Ses doigts ne rencontrèrent que le crépi rugueux qui enduisait le mur de sa cellule.
Elle poussa un hurlement qui, au fil des minutes, se mua en une longue plainte avant de mourir emportée par un sanglot émaillé de rires convulsifs.
Dans un sursaut, elle se précipita contre la porte.
- Où suis-je ? Que voulez-vous ? s’époumona-t-elle en plaquant sa bouche contre le panneau de la lourde porte.
Brusquement, alors qu’elle tambourinait contre le bois depuis une éternité, alors que ses poings avaient viré au pourpre, que ses forces l’abandonnaient, la porte pivota sans un bruit.
Un nain rondelet, en livrée noire, portant un chapeau melon, l’invita, d’un geste de la main, à le suivre.
Elle s’avança.
Au sommet d’un escalier monumental était érigée une petite église blanche dont les cloches carillonnaient. D’un camion, arborant sur son flanc « Transport de Viande », jaillit une foule dense, coiffée de canotiers et vêtue de blazers rayés.
Nathalie tourna la tête vers la droite. Les trois hommes filiformes chapeautés d’un haut-de-forme, se tenaient immobiles à quelques pas d’elles et lui expédièrent un sourire.
La multitude bigarrée, au rythme de la marche nuptiale qu’avait entonnée une clique de cuivres et de tambours, franchissait à vive allure la distance qui la séparait d’elle.
- Vive la mariée ! ... Vive la mariée ! ...
- Où suis-je ? demanda Nathalie.
- Au Village des Amoureux, lui répondirent en chœur, les trois hommes coiffés de haut-de-forme.
- Que voulez-vous ? s’écria-t-elle.
- Une confirmation !…répliqua la multitude.
- Où suis-je ? répéta Nathalie.
- A l’église... lui répondit son époux en la saisissant par le bras.
- Que voulez-vous ?
- Un mariage !… s’écria la foule hilare.
- Vous ne l’aurez pas ! cria-t-elle.
- De gré ou de force, nous marierons votre fille !
Un étrange calme avait envahi Nathalie. Au-dessus de la masse criarde, soutenue par mille mains, ce n’était pas elle que la foule conduisait à l’autel, mais le corps sans défense de sa fille.

- Allons-y ! lui dit son mari, en lui décochant une claque sur les fesses, comme pour la faire avancer plus vite.
Elle se retourna.
Elle était dans sa chambre, dans son lit, face à son époux.
- Dépêche-toi... Sinon, nous serons en retard au mariage de ta fille...
Le mariage de sa fille ! Avec cet homme qu’elle ne connaissait que depuis une semaine… Avec cet homme, dont les activités économiques se mariaient à merveille avec celles de s famille… Avec cet homme qu’elle détestait… Avec cet homme qui l’arrachait à l’amour… A l’espoir…
Elle bondit hors du lit et se précipita à la cuisine : elle ouvrit fébrilement un tiroir… Sa fille échapperait à son sort !

Le cliquetis du verrou tira Nathalie de son cauchemar. Elle se redressa et s’assit sur le lit étroit.
Un homme mince, au maintien aristocratique, se dressait devant elle. Il arborait un nœud papillon et un costume trois pièces de couleur anthracite. D’un geste de la main, il ramena en arrière ses cheveux blonds et longs alors que de l’autre il plantait un cigare entre ses lèvres fines.
- Madame Nathalie Fauvette ? demanda-t-il avant d’ajouter, permettez-moi de me présenter : commissaire René Charles de Villemur… Il semblerait que vous ayez poignardé votre mari…. Je dois recueillir votre déposition.
Nathalie ne bougea pas.
- Allons-y ! ce ne sera pas long… ensuite vous serez présentée au juge…
Elle leva la tête vers le commissaire, puis détourna les yeux et les posa sur le mur gris de la cellule.
Subitement ses souvenirs déferlèrent dans son esprit pendant qu’un imperceptible sourire illuminait son visage.
Elle avait tué son mari d’un coup de couteau dans le cœur… juste avant les noces de sa fille.
Elle l’avait tué parce le mariage de sa fille ne devait pas ressembler au sien… Parce qu’un mariage n’est pas une transaction financière !
Elle l’avait tué pour délivrer sa fille, pour lui offrir la liberté…
Elle se leva, emboîta, fièrement, le pas du commissaire et franchit le seuil de la cellule, bercée par le doux souvenir d’un espoir.

Vos commentaires

Merci pour ce tte nouvelle haletante jusqu'au bout, puisque rien ne laisse présager la fin
Mamsel # therese.gubeth@wanadoo.fr
Le samedi 30 Janvier 2005
        
Un sentiment de malaise, d'incertitude, presque surréaliste plane tout au long du récit, qui m'évoqua un film (mais aucun en particulier) de David Lynch. Enigmatique et aspirant récit.
CH # encrezone@yahoo.fr
Le mardi 17 Janvier 2006
        
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